Les enjeux de l’élection présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire

Introduction 

Le think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest WATHI et la fondation Konrad Adenauer ont organisé le 05 décembre 2024, une table ronde virtuelle portant sur le thème : « les enjeux de l’élection présidentielle de 2025 en Côte d’Ivoire   ».

La Côte d’Ivoire se prépare à l’organisation des élections présidentielles en 2025. Une nouvelle configuration politique se dessine avec le retour dans le jeu politique d’anciens acteurs, notamment Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ainsi que de Tidjane Thiam qui prend la relève du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) après le décès d’Henri Konan Bédié.

Le pays se prépare à relever un défi majeur, notamment en termes de sécurité, avec les violences notoires des dernières élections présidentielles, qui ont entraîné le décès de près de 85 personnes. Parmi les défis, on note la faible inscription sur les listes électorales, les tensions autour de l’éligibilité de certains candidats, notamment en raison de contentieux judiciaires.

La Côte d’Ivoire aspire à tourner la page des violences électorales qui ont marqué les précédentes échéances électorales. L’élection présidentielle de 2025 représente ainsi une opportunité cruciale pour le pays de renforcer sa démocratie et de bâtir un avenir politique plus inclusif.

Ont pris part à cette table ronde virtuelle :

Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste

Christophe Kouame, président du Comité exécutif de citoyens & participation (CIVIS)

Francine Aka-Anghui, avocate et secrétaire générale du Women Caucus for Lobbying

Les principaux constats 

  • Les difficultés rencontrées lors de cette opération de recensement ont été multiples. Il y a toujours les mêmes problèmes récurrents liés aux équipements, à l’accès aux sites, souvent éloignés, et au problème majeur de la possession des documents administratifs par les citoyens. En plus de ces difficultés que l’on pourrait qualifier de récurrentes, une confusion a été générée par un changement de dernière minute. Le président de la Commission électorale indépendante (CEI) a en effet demandé la présentation d’un document appelé l’extrait de naissance, même pour les détenteurs de la carte nationale d’identité. Cette exigence a immédiatement suscité des réactions de la part des participants à la révision, ce qui a conduit le président de la CEI à revenir sur cette décision et à l’annuler. Pour mener à bien cette révision de la liste électorale, la CEI a mobilisé un dispositif conséquent en termes de ressources humaines. Par exemple, près de 4 000 agents de l’administration publique ont été impliqués. Parmi eux, une partie a été chargée de la sensibilisation pendant la période impartie, tandis que l’autre partie a assuré l’observation de la qualité de la révision de la liste électorale. On peut dire que le système législatif ivoirien offre la possibilité d’avoir de meilleures révisions de la liste électorale. En effet, le Code électoral, dans ses articles 6 et 11, prévoit la possibilité d’une révision annuelle des listes, qu’il s’agisse d’une année électorale ou non, et permet ainsi d’atteindre le niveau qualitatif attendu.
  • Nous pensons que les opérations de révision, dans leur fréquence actuelle, ne sont pas à la hauteur de l’ambition de la Côte d’Ivoire. Le fait d’organiser une seule révision de la liste électorale, ou deux au maximum entre 2020 et aujourd’hui, reflète un problème atypique de la gestion même de ces révisions. Pour nous, la loi exige que la révision soit effectuée chaque année. C’est pourquoi nous sommes surpris qu’entre 2020 et aujourd’hui, en dehors de celle de 2022 et de celle en cours, aucune autre révision n’ait été réalisée. En conclusion, je dirais que, premièrement, les problèmes récurrents ont persisté. La Commission électorale indépendante (CEI) a tenté de les résoudre progressivement. Cependant, il en ressort que l’opposition politique et une partie de la société civile critiquent la qualité de la révision, jugeant qu’elle n’a pas atteint le niveau attendu. Alors que la CEI s’attendait à inscrire 5 millions de personnes, seulement 900 000 ont été enregistrées. De plus, une plainte récurrente de certains acteurs politiques est que, sur une population de 29 millions d’habitants, à peine 5 millions seront inscrits sur les listes électorales. Et, dans ces conditions, le président pourrait être élu par seulement 2 à 3 millions d’électeurs. Cela remet en question, je dirais, la légitimité électorale du président élu.
  • On constate qu’en 2024, la participation des femmes et des jeunes ne s’est pas améliorée. On constate un désintérêt croissant des jeunes pour la politique, car beaucoup se demandent quel est l’intérêt de s’inscrire sur une liste électorale. En ce qui concerne les femmes, elles manquent souvent d’informations, un problème aggravé par le faible niveau d’alphabétisation dans cette catégorie. Elles ne sont pas suffisamment sensibilisées. Par ailleurs, un problème commun aux deux groupes est l’absence de documents administratifs. De nombreuses personnes ne possèdent ni carte d’identité ni extrait de naissance, ce qui constitue un frein majeur. Obtenir ces documents uniquement pour s’inscrire sur une liste électorale ne semble pas opportun pour beaucoup, surtout compte tenu des coûts financiers liés à leur acquisition, coûts que nombre d’entre eux ne peuvent assumer. Ce sont donc des facteurs sociaux, culturels, politiques et économiques qui continuent de constituer des obstacles majeurs à l’inscription des femmes et des jeunes sur les listes électorales. Bien que l’inscription soit gratuite, d’autres difficultés se posent. Par exemple, les centres d’enrôlement sont souvent éloignés, ce qui implique des frais de transport que certaines personnes ne peuvent se permettre. Par ailleurs, les femmes, absorbées par leurs tâches ménagères, ne trouvent pas toujours des horaires compatibles avec leurs activités. Ces différentes contraintes expliquent pourquoi les femmes ne s’inscrivent pas massivement sur les listes électorales.
  • Si nous avons une population de 29 millions, et sur cette population 8 millions d’électeurs, comparativement à un pays comme le Ghana qui compte 34 millions d’habitants avec 18 millions d’électeurs, ou encore un pays comme le Mozambique avec 29 millions d’habitants et 17 millions d’électeurs, il est évident que le corps électoral ivoirien est très faible. Cela s’explique notamment par le fait qu’en Côte d’Ivoire, près de 22 % de la population est d’origine étrangère, ce qui représente un taux significatif. Par conséquent, ces personnes ne peuvent pas participer valablement aux processus électoraux. Une autre raison qui explique le faible nombre d’électeurs, surtout lors des opérations de recensement électoral, est l’absence d’obligation de vote. Le vote n’étant pas obligatoire, il est perçu comme une liberté individuelle, et l’inscription sur les listes électorales devient également un choix personnel. Les citoyens peuvent donc décider de s’inscrire ou non. Par ailleurs, il faut noter l’absence d’une véritable offre politique. À un an de l’élection présidentielle, personne – pas même les spécialistes des questions électorales – ne peut réellement dire quel est le programme politique de chaque parti en Côte d’Ivoire. Nous sommes souvent confrontés à des enjeux de rivalités personnelles et de crises internes plutôt qu’à des propositions concrètes. De plus, depuis près de trois décennies, les élections présidentielles en Côte d’Ivoire sont rythmées par la violence et les crises politiques. Pour rappel, l’élection présidentielle de 1995 a causé 30 morts, celle de 2003 a fait 100 morts, celle de 2010, 3 000 morts, et celle de 2020, 87 morts. Cela signifie que les élections présidentielles ont causé plus de décès que la pandémie de COVID. Elles sont devenues, en quelque sorte, un problème de santé publique en Côte d’Ivoire. Tous ces éléments contribuent à décourager la population, et cela ne concerne pas seulement les jeunes et les femmes. En examinant les taux de participation aux différentes élections, on constate un désintérêt croissant de la population vis-à-vis de la classe politique. »

Ce sont donc des facteurs sociaux, culturels, politiques et économiques qui continuent de constituer des obstacles majeurs à l’inscription des femmes et des jeunes sur les listes électorales.

  • Depuis 30 ans, ce sont les mêmes acteurs politiques en Côte d’Ivoire. Vous retrouverez certainement monsieur Alassane Ouattara, qui est dans le jeu politique depuis 1993, ainsi que monsieur Laurent Gbagbo, présent sur la scène politique depuis les années 80. Vous retrouverez également monsieur Pascal Affi N’Guessan et madame Simone Gbagbo. Au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA ), par exemple, vous aurez des figures comme monsieur Jean-Louis Billon ou monsieur Tidjane Thiam, qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne sont pas de nouveaux venus sur la scène politique ivoirienne. La classe politique ivoirienne a du mal à se renouveler. On assiste à une véritable stagnation, ce qui s’explique par plusieurs facteurs. Parmi eux, les violences politiques qui découragent profondément les intelligences ivoiriennes de s’intéresser aux affaires politiques. Ces violences, qui ont marqué les différents scrutins, éloignent particulièrement les jeunes de l’engagement politique. Ainsi, il n’est pas surprenant que, parmi les intentions de candidatures, on retrouve encore des personnalités comme madame Simone Gbagbo, monsieur Laurent Gbagbo, monsieur Alassane Ouattara, ou encore monsieur Jean-Louis Billon. Ces figures, qui dominent le paysage politique depuis des décennies, incarnent un système où le renouvellement politique semble compromis. Le renouvellement de la classe politique en Côte d’Ivoire n’est pas pour demain. Il faudra probablement attendre le départ des dinosaures comme messieurs Gbagbo et Ouattara pour que de véritables nouvelles figures émergent sur la scène politique. »
  • Les partis politiques en Côte d’Ivoire ne fonctionnent pas de manière démocratique. À l’observation, ils ressemblent davantage à des clubs de soutien. Le président du parti est perçu comme un homme charismatique, presque comme une figure intouchable pour ses partisans. Toute tentative de contradiction, d’opposition ou de création de courants internes est systématiquement réduite au silence. Prenons l’exemple du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) où l’on ne peut réellement pas imaginer des jeunes ou d’autres membres du parti contester la position de M. Ouattara. La même logique prévaut au sein du PPA-CI de Laurent Gbagbo. Par exemple, face à la question de la candidature de M. Laurent Gbagbo, notamment en raison de son statut pénal, lorsqu’on lui demande s’il existe un “plan B”, il répond qu’il n’y en a pas. Personne au sein du PPA-CI n’ose remettre en question cette position. La situation est similaire dans les autres partis. Au sein du PDCI, par exemple, M. Billon a clairement affiché son intention de se porter candidat, mais cela génère déjà des tensions au sein de ce vieux parti. Cela illustre bien le fait que ces formations ne fonctionnent pas sur une base démocratique. Dans un tel contexte, il devient extrêmement difficile pour de nouvelles personnalités d’émerger. Ces partis sont centrés autour d’un leader charismatique qui impose ses idées et une pensée unique. Ceux qui osent contester cette pensée sont soit contraints de quitter le parti, soit réduits au silence par des pressions internes.

La classe politique ivoirienne a du mal à se renouveler. On assiste à une véritable stagnation, ce qui s’explique par plusieurs facteurs. Parmi eux, les violences politiques qui découragent profondément les intelligences ivoiriennes de s’intéresser aux affaires politiques.

  • L’actualité politique en Côte d’Ivoire, depuis les années 1990, est marquée par l’exclusion. Dans les années 90, c’est M. Alassane Ouattara qui a été visé par des artifices juridiques autour de la question de son éligibilité. En 2000, c’est M. Henri Konan Bédié qui a été écarté du jeu électoral en raison de son éloignement et de sa non-présence en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, ce sont M. Laurent Gbagbo, M. Charles Blé Goudé et M. Guillaume Soro qui sont exclus pour des raisons d’ordre pénal. Cela illustre un refus de la démocratie et des relations inclusives. Nous sommes dans une situation où la Côte d’Ivoire vit une démocratie sans démocrates.
  • Il y a un changement perceptible en Côte d’Ivoire. Ce changement est à la fois qualitatif et quantitatif, et il est à mettre à l’actif du pouvoir du RHDP. Ces réalisations ont d’ailleurs permis au parti de remporter une large majorité lors des élections communales et régionales. Cependant, le véritable problème du RHDP aujourd’hui réside dans l’usure du pouvoir et les maladresses démocratiques, notamment avec le troisième mandat de M. Ouattara. Cette démarche alimente l’impression d’une volonté de s’éterniser au pouvoir. Autrement dit, si le bilan économique du RHDP est globalement positif, sur le plan démocratique, il y a de nombreuses zones d’ombre. C’est précisément sur ce terrain que ses adversaires concentrent leurs critiques, en jouant sur le désir de changement. De plus, nous évoluons actuellement dans un contexte géopolitique marqué par un rejet croissant de la « Françafrique », cet empire colonial en déclin. Or, M. Ouattara et le RHDP entretiennent des relations étroites avec la France, ce qui les rattache à cette ancienne dynamique. Aujourd’hui, l’opinion publique ivoirienne est majoritairement orientée vers une rupture avec les politiques franco-africaines. Ainsi, ce lien avec la France pourrait devenir un véritable handicap pour M. Ouattara et le RHDP dans la conjoncture actuelle.

Recommandations 

  • Améliorer l’organisation des révisions électorales, car la fréquence actuelle de ces révisions n’est pas conforme aux exigences d’une démocratie et d’une participation citoyenne. Il est essentiel de garantir une révision annuelle des listes électorales afin de permettre à un plus grand nombre de citoyens de s’inscrire et de participer aux scrutins ;

Cependant, le véritable problème du RHDP aujourd’hui réside dans l’usure du pouvoir et les maladresses démocratiques, notamment avec le troisième mandat de M. Ouattara. Cette démarche alimente l’impression d’une volonté de s’éterniser au pouvoir.

  • Faciliter l’accès aux documents administratifs, dans le but de pallier aux problèmes de manque d’extraits d’acte de naissance qui constituent un obstacle majeur à l’inscription des populations. Pour ce faire, il faut lancer des campagnes de délivrance gratuite ou à un coût réduit  surtout dans les zones rurales ;
  • Promouvoir la participation des jeunes et des femmes. Ces derniers sont sous-représentés dans les processus électoraux. Il est crucial de mener des campagnes de sensibilisation adaptées et de réduire les contraintes liées à l’éloignement des centres d’enrôlement ou aux horaires inadaptés, notamment pour les femmes ;
  • Encourager le renouvellement de la classe politique, car depuis 30 ans, les mêmes figures dominent le paysage politique, ce qui décourage la jeunesse et freine l’émergence de nouvelles personnalités. Il est important de créer un environnement politique inclusif et propice au changement générationnel ;
  • Réduire les violences électorales, car les scrutins en Côte d’Ivoire sont régulièrement marqués par des crises meurtrières, ce qui dissuade la population de participer. Des mesures de prévention et de gestion des conflits doivent être mises en œuvre pour garantir des élections pacifiques ;
  • Inciter les partis politiques à instaurer une gestion démocratique en interne. Il est essentiel de promouvoir un système plus inclusif qui met en avant l’émergence des nouvelles figures, notamment les femmes et les jeunes au sein des partis politiques ;

Citations des invités 

“Depuis l’instauration du multipartisme en 1990, la question de l’exclusion d’un candidat à l’élection présidentielle a été le principal motif des crises électorales que nous avons connues.” Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste.

“Le système législatif offre la possibilité d’effectuer de meilleures révisions de la liste électorale. L’article 6 et l’article 11 permettent chaque année de procéder à ces révisions et d’atteindre le niveau qualitatif attendu. Cependant, nous pensons que ces opérations de révision de la liste électorale ne sont pas à la hauteur.” Christophe Kouame, président du Comité exécutif de citoyens & participation (CIVIS)

“À un an de l’élection présidentielle, l’actualité politique tourne principalement autour du processus électoral, en particulier de la révision de la liste électorale et la question de l’exclusion de certains acteurs politiques majeurs, ce qui contribue à instaurer un climat d’inquiétude.” Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste

“On constate un désintérêt des jeunes pour la politique et pour l’inscription sur les listes électorales. Les femmes ne sont pas toujours bien informées et ne sont pas suffisamment sensibilisées, car certaines d’entre elles n’ont pas les documents administratifs nécessaires. De plus, s’inscrire massivement sur les listes électorales ne leur paraît pas important.” Francine Aka-Anghui, avocate et secrétaire générale du Women Caucus for Lobbying

“En Côte d’Ivoire, le problème de l’état civil persiste, et les partis politiques n’ont pas pleinement joué leur rôle en matière de sensibilisation, notamment auprès des personnes qui ne sont pas déjà leurs partisans. Cela a engendré un désintérêt chez certains jeunes électeurs, souvent qualifiés d’indécis ou d’apolitiques, qui ne se reconnaissent pas dans les partis existants et ne se sentent pas impliqués dans la vie politique.” Francine Aka-Anghui, avocate et secrétaire générale du Women Caucus for Lobbying

“Le corps électoral ivoirien est très faible, ce qui s’explique par un taux élevé d’étrangers, représentant près de 22 % de la population, qui ne peuvent pas participer au processus électoral.” Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste.

“Depuis les années 1990, le paysage électoral ivoirien est marqué par des exclusions récurrentes de figures politiques majeures. Monsieur Alassane Ouattara a été écarté en 1990 pour des raisons de nationalité, suivi de Monsieur Bédié en 2000. Aujourd’hui, la situation de Monsieur Gbagbo illustre encore ces pratiques, limitant ainsi la compétition démocratique en Côte d’Ivoire.” Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste.

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