« Une jeunesse éduquée et informée est un antidote contre les violences communautaires à Béoumi », entretien avec Hyacinthe Bley, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët Boigny (première partie)

« Une jeunesse éduquée et informée est un antidote contre les violences communautaires à Béoumi », entretien avec Hyacinthe Bley, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët Boigny (première partie)
Dr Hyacinthe Bley est enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët Boigny au département d’histoire en Côte d’Ivoire. Il est par ailleurs analyste politique et expert en sécurité communautaire.

Pouvez-vous nous présenter le département de Béoumi

Créé par la loi n°85-1086 du 17 octobre 1985, ce département est situé au centre de la Côte d’Ivoire à 465 Km d’Abidjan dans la région de Gbêkè en pays Baoulé et plus précisément dans le district de la Vallée du Bandama. Cette circonscription est donc majoritairement composée de Baoulé (Godê et Goli) auxquels il faut ajouter une forte communauté malinké et des ressortissants d’autres régions du pays et de la région ouest-africaine.

La région de Gbêkê a connu des mouvements violents qui étaient basés sur des affrontements communautaires. Au-delà de cette spécificité, il faut parler de la rébellion qui a fait de Gbêkê, sa base. Il y a donc ce ressentiment des populations autochtones vis-à-vis de cette rébellion qui privilégiait certaines classes au détriment d’autres en faisant la loi selon les enquêtes que nous avons menées sur le terrain sur les violences politiques à Béoumi.

On va alors observer l’avènement de petits conflits entre des personnes qui cohabitent et qui sont d’ethnies différentes. Une simple dispute entre un Malinké et un Baoulé par exemple se transforme en conflit et oppose différentes communautés.

C’est vrai que dans d’autres régions de la Côte d’Ivoire, ces violences, depuis 2002 en passant par la crise post-électorale, sont devenues récurrentes. La région de Gbêkê où se trouve Béoumi, a quand même la spécificité de se retrouver souvent au cœur des affrontements communautaires.

Quels sont les obstacles à la promotion du concept de la « sécurité communautaire » dans cette localité ? 

Le développement durable d’un pays est intrinsèquement lié à la mise en œuvre réussie des différentes stratégies de prévention de la criminalité ; laquelle à son tour va donc promouvoir la sécurité communautaire. Le concept de la sécurité communautaire fait ainsi référence à la plus large gamme de questions qui doivent être abordées pour promouvoir des zones sûres, des villages sûrs, des communes et des villes sûres, à l’abri de la violence communautaire. Le crédo serait alors la prévention des altercations entre les différentes composantes de la société.

Au niveau de Béoumi, il arrive souvent qu’une simple altercation entre un chauffeur de taxi-moto baoulé et un autre chauffeur de taxi-brousse issu de la communauté malinké, débouche sur des confrontations meurtrières. Un jour et sur de simples rumeurs, un chauffeur malinké a été annoncé mort suite à un coup de machette sur la tête dans un affrontement qui l’opposait à un Baoulé. Les jeunes de la communauté baoulé vont donc crier vengeance et cela va occasionner trois morts et des blessés graves. Même le commissaire de police qui est venu avec ses agents et des gendarmes pour rétablir l’ordre, a reçu une balle tirée par un fusil de chasse.

Ce sont donc les suspicions, la haine et la méfiance qui alimentent la violence entre les différentes communautés. La sécurité communautaire permet donc d’aller en amont pour prévenir ces tensions, faisant naître ainsi une sorte de résilience.

Aujourd’hui, note-t-on des signes d’amélioration à Béoumi ?

Des approches de solutions ont été définies à la suite d’un affrontement le 15 mai 2019. Les autorités administratives, le maire, les élus locaux, les cadres et même les députés ont essayé de mettre en place une plateforme de discussion. On a connu une accalmie après cette initiative, mais les suspicions demeurent.

Cette paix précaire se traduit par le fait que les populations autochtones à savoir les Godê et Goli ne tombent souvent pas d’accord quant aux mesures adoptées pour la résolution des crises.

Pour les Malinké majoritairement du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), il faut toujours leur donner raison parce qu’ils sont au pouvoir. Cette manière de penser déplait aux Baoulés ; du coup, il y a une méfiance persistante qui fait que les communautés se regardent toujours en chiens de faïence.

L’ethnicisation de la scène politique en Côte d’Ivoire crée des tensions entre les différentes communautés

Avec l’appui d’une organisation de la société civile, il y a eu la mise en place d’un Cadre de collaboration (CDC). Le cadre de collaboration de Béoumi regroupe des experts en résolution des conflits, les représentants des communautés et les personnes ayant une autorité morale dans la société. Ces personnes font l’unanimité au sein des différentes communautés. Cet outil a permis d’aboutir à une étude à travers laquelle les protagonistes vivant sur le territoire de Béoumi, se sont assis pour se dire en face les vérités dans le respect mutuel. Chacun s’est donc vidé en disant à l’autre les comportements qu’il n’approuve pas et qui mettent à mal la cohabitation apaisée.  Pour le moment, ce dialogue a permis d’apaiser les tensions.

Les élections législatives ivoiriennes qui ont eu lieu le 6 mars 2021 afin de renouveler les 255 membres de l’Assemblée nationale se sont même déroulées sans heurts à Béoumi, une première.

Un autre exemple qui témoigne de la régression des violences, c’est le phénomène scolaire qu’on appelle les congés anticipés. C’est un rendez-vous que les élèves se donnent, surtout à Noël pour s’affronter aux cailloux et dès que quelqu’un se blesse, il fait appel à sa communauté d’origine et déclenche un affrontement.

Des élèves ont été cooptés dans chaque lycée et collège du département pour rejoindre le cadre de collaboration. Ces apprenants sont devenus des relais après la mise en place des sous-sections CDC et sensibilisent leurs pairs par rapport à la violence. Le commissariat a même mis en place avec le CDC, un comité sécuritaire de sorte que les rumeurs d’affrontements soient rapidement traitées.

A l’approche des élections régionales et municipales qui auront lieu en 2023, peut-on craindre le retour des vieux démons ?

En 2020, à l’approche de l’élection présidentielle, la ville de Daoukro, en pays Baoulé, a connu encore des situations de violence. Un jeune a même été décapité. J’étais avec son père. La violence s’apparente à un cercle vicieux. La cause fondamentale des conflits est politique. Ce sont les discours politiques qui manipulent le peuple au niveau régional. Quelqu’un qui est pressenti candidat par exemple aux élections législatives, peut baser son discours sur l’ethnie.

L’ethnicisation de la scène politique en Côte d’Ivoire crée des tensions entre les différentes communautés. L’individu pense que son appartenance à une communauté fait de lui d’office le candidat idéal pour un poste électif. Dans mes recherches sur le terrain, j’ai rencontré certains leaders qui pensent déjà que pour 2023, si un candidat RHDP n’est pas Baoulé, il ne se présentera pas sur leur sol. Ce sont les signes avant-coureurs d’une crispation.

D’ailleurs, pour respecter la démocratie, tout le monde n’est pas militant RHDP. Il y a d’autres forces politiques importantes dans la région, notamment le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le Parti ivoirien des travailleurs et bien d’autres.  Aussi, faut-il rappeler que le choix des candidats se fait au sein des partis et non en tenant compte de la posture d’un individu.

Pour prévenir les violences communautaires en Côte d’Ivoire, je propose de mettre en place à l’échelle de chaque région, une cellule qui va traiter les rumeurs en lien avec la violence et tous ceux qui ont en charge la sécurité des villes sont représentés

Ce qui est bien, c’est que le CDC a commencé le travail préliminaire dans le cadre des municipales. Il y a un village près de Béoumi où dès qu’on entend la rumeur d’un affrontement, on commence par barrer les routes. Le cadre de collaboration fait un travail là-bas actuellement où la sensibilisation commence à porter ses fruits. Il faut arriver à tuer dans l’œuf tout ce qui est violence relative aux élections.

Depuis la crise post-électorale, il n’y a plus d’élection sans tension. Les régions qui organisent des élections apaisées en Côte-d’Ivoire sont rares. C’est pourquoi, il faut poursuivre la sensibilisation. Chaque région doit faire un effort pour incarner le changement.

A Béoumi par exemple, le crédo pendant cette période sensible, c’est : « élection, ce n’est pas la guerre, nous sommes des frères ». Pour prévenir les violences communautaires en Côte d’Ivoire, je propose de mettre en place à l’échelle de chaque région, une cellule qui va traiter les rumeurs en lien avec la violence et tous ceux qui ont en charge la sécurité des villes sont représentés.

Ce sont les rumeurs qui attisent la méfiance et mettent à mal la cohésion sociale. Nous avons mené un travail scientifique dans les villes de Bonoua et Dabou sur les tensions liées à l’élection présidentielle de 2020. Les jeunes ont relaté leur expérience en matière de traitement des rumeurs et de prévention sociale en vue de l’amélioration de l’environnement. On peut s’en sortir également à Béoumi si le discours des politiques change, s’ils évitent de promouvoir « le tribalisme ». Une jeunesse éduquée et informée est un antidote contre les violences communautaires à Béoumi.        

Peuton alors affirmer que l’enjeu des prochaines élections municipales est la sécurité ?  

Les risques de débordement sont moins graves lorsqu’il s’agit des élections municipales que quand il s’agit d’élire le président de la République.  Avec une volonté politique de l’État de Côte d’Ivoire, le pays peut traverser les eaux sans que la barque ne chavire.

Le député ivoirien se refuse d’aller expliquer à ses mandants, les différentes lois qu’il a votées pour l’apaisement social et le bien-être. Il y a un fossé abyssal entre les élus et les populations

Quelles sont les difficultés liées à la gouvernance partagée de la sécurité et de la paix dans les régions de Côte d’Ivoire ?       

La volonté politique manque cruellement. Quoi qu’on dise, l’État est le premier garant de la sécurité. En ce qui concerne les initiatives locales, chaque communauté vit dans une tour d’ivoire, renfermée sur elle-même. En général, les collectivités se rejettent la faute de l’inertie et de la violence. Ce manque de volonté complexifie le travail des acteurs de la société civile qui viennent en appoint aux dispositifs étatiques de maintien de la paix.

L’autre difficulté, c’est que l’élu local ne joue véritablement pas son rôle. Le maire ne vit pas dans la commune, c’est-à-dire que la première autorité locale qui est chargée de résoudre les difficultés réside à Abidjan sous prétexte que les régions ne sont pas attractives.

Le député ivoirien se refuse d’aller expliquer à ses mandants, les différentes lois qu’il a votées pour l’apaisement social et le bien-être. Il y a un fossé abyssal entre les élus et les populations. Ce sont là des difficultés majeures que la Côte d’Ivoire rencontre en matière de gouvernance locale.

En quoi ces difficultés peuvent constituer un terreau fertile pour la menace djihadiste ?

Dès lors qu’il y a une distance entre les élus locaux et les populations, ces dernières ne peuvent pas dénoncer les faits terroristes. Les localités Comme Béoumi n’ont pas une superficie trop dense et donc si un étranger arrive, on peut tout de suite le repérer. Si les gens restent silencieux, c’est parce qu’ils se sentent livrés à eux-mêmes. Il y a comme un pont entre les “sécurocrates”, les autorités administratives et les populations.

Le terrorisme est aujourd’hui endogène. On voit que le terroriste vit dans la famille, la ville ou le village. Il note toutes les faiblesses du territoire pour ensuite frapper là où ça fait le plus mal

Il n’y a pas d’industries dans ces régions. L’économie est faible. Ainsi, le chômage et la pauvreté sévissent. Si le djihadiste vient et propose 500 mille FCFA à un jeune désespéré qui n’a jamais compté autant d’argent de sa vie, il devient le dieu de son donataire et le manipule à sa guise pour attaquer un commissariat ou une brigade de gendarmerie.

Avec l’argent du crime, le jeune autochtone radicalisé prend une moto et peut démarrer une activité.  Ce constat est réel dans les localités frontalières de la Côte d’Ivoire.

La sensibilisation à elle seule ne suffit plus pour dénoncer un terroriste qui vient faire le bien d’un seul individu, pour après le pousser à détruire toute la région. Il faut poser de actes concrets en termes d’accès à l’emploi. Les discours n’étanchent pas la soif de bien-être des populations. Le terrorisme est aujourd’hui endogène. On voit que le terroriste vit dans la famille, la ville ou le village. Il note toutes les faiblesses du territoire pour ensuite frapper là où ça fait le plus mal.

Il n’est plus ce trublion extérieur qui vient perturber la quiétude des autochtones ; donc, si l’on parvient à rétablir la confiance entre les autorités locales et les populations, ces dernières vont réagir promptement quand elles verront une voiture en stationnement ou identifieront un comportement inhabituel.

Crédit photo : ivoiresoir.net

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