Représentations sociales des tradipraticiens et problématique de leur insertion dans le système de santé public en Côte d’Ivoire, Revue africaine des sciences sociales et de la santé publique, 23 septembre 2021

Représentations sociales des tradipraticiens et problématique de leur insertion dans le système de santé public en Côte d’Ivoire, Revue africaine des sciences sociales et de la santé publique, 23 septembre 2021

Auteurs : Kouakou Daniel YAO, Gbalawoulou Dali DALOUGOU et Maholy Antoinette ZAMBE

Organisation affiliée : Revue Africaine des sciences sociales et de la santé publique

Type de publication : Article

Date de publication : 23 septembre 2021

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Introduction

Les pays en voie de développement sont caractérisés par une insuffisance de ressources humaine et matérielle de qualité dans le secteur de la santé. Cette carence semble expliquer en partie, le recours des populations dans les villes et campagnes africaines à la médecine traditionnelle en marge du système formel de soins de santé. En effet, 80% des populations africaines ont recours à la médecine traditionnelle pour ses besoins de santé. Cela pourrait laisser croire que le tradipraticien est un acteur de la politique de santé publique reconnu et valorisé (OMS, 2002). Or, cette hypothèse parait s’écarter des constats empiriques.

L’Etat de Côte d’Ivoire, dans sa politique sanitaire nationale a-t-il crée, le Programme National de Promotion de la Médecine Traditionnelle (PNPMT), qui a pour mission d’organiser, de règlementer, de valoriser et de réhabiliter le secteur de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle. La médecine et la pharmacopée traditionnelles sont réglementées de ce fait par la loi n°2015-536 du 20 juillet 2015 et le décret n°2016-24 du 27 janvier 2016 portant code d’éthique et de déontologie des praticiens de médecine et pharmacopée traditionnelles.

Ce secteur compte plus de 8500 Praticiens de Médecine Traditionnelle recensés par le PNPMT et dont les capacités ont été renforcées en anatomie, hygiène conventionnelle, techniques de collecte et de conservation durable des plantes médicinales, maladies et programmes (MSHP, 2016). En outre, en 2014 une Unité de Médecine Traditionnelle a été créée au CHU de Treichville.

Aujourd’hui en Afrique, la médecine traditionnelle constitue la principale source de soins médicaux face aux nombreux défis auxquels les systèmes de santé sont confrontés et qui se caractérisent par la faible performance des services préventifs et curatifs, le coût élevé des prestations dans les établissements hospitaliers, la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière d’approvisionnement en médicaments essentiels, l’insuffisance du personnel, les pesanteurs socioculturelles relatives à la perception, la prise en charge et la prévention des maladies. Paradoxalement, le tradipraticien est l’un des acteurs de santé en Afrique dont les pratiques, les techniques de production de soins et les médicaments sont les plus contestés.

Résultats

Acteurs et représentations sociales des tradipraticiens

Le graphe de similitude des sujets associé à la représentation sociale met en exergue spécifiquement des appréciations mystiques (guérisseur), biomédicale (plante-naturelle), socioculturelle (soin-traditionnel). Ainsi, « l’aspect mystique » produit chez la population, un sentiment de « méfiance ou d’opacité », ce qui concourt en partie à pérenniser la problématique de l’insertion des tradipraticiens dans le système de santé public ivoirien.

L’Etat de Côte d’Ivoire, dans sa politique sanitaire nationale a-t-il crée, le Programme National de Promotion de la Médecine Traditionnelle (PNPMT), qui a pour mission d’organiser, de règlementer, de valoriser et de réhabiliter le secteur de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle. La médecine et la pharmacopée traditionnelles sont réglementées de ce fait par la loi n°2015-536 du 20 juillet 2015 et le décret n°2016-24 du 27 janvier 2016 portant code d’éthique et de déontologie des praticiens de médecine et pharmacopée traditionnelles

La clique fermée « culture africaine-modèle de traitement–plante naturelle-relation avec la médecine moderne » valide par ailleurs, la représentation sur les causes du recours aux médicaments traditionnels ancrées sur les dimensions culturelle et biomédicale.

L’extrait de discours de monsieur K. V. [Soudeur, marié, 42 ans], nous situe davantage sur ce point : « Un tradipraticien est un spécialiste de la médecine traditionnelle dont le savoir-faire pour guérir ses patients est basé sur l’utilisation des plantes, des extraits d’animaux etc… »

Chef de ménage et statut relatif à la mutuelle d’assurance santé

Les ménages bénéficiant d’une mutuelle d’assurance santé seraient portés sur la dimension mystique (guérisseur) et socio-culturel (médicament-traditionnel). Pour les assurés, le « guérisseur » représente aisément l’identité du tradipraticien qui maitrise les « médicaments traditionnelles ».

Monsieur A. F. [Pompiste, marié, 38 ans], nous donne son opinion : « Je n’aime pas les tradipraticiens parce qu’ils ne sont pas simples. Ils pratiquent trop les choses occultes et la magie noire. Trop de totems et rien n’est simple avec eux. »

L’extrait de discours de monsieur K. V. [Soudeur, marié, 42 ans], nous situe davantage sur ce point : « Un tradipraticien est un spécialiste de la médecine traditionnelle dont le savoir-faire pour guérir ses patients est basé sur l’utilisation des plantes, des extraits d’animaux etc… »

Pour les ménages ne bénéficiant pas d’une mutuelle d’assurance maladie, les tradipraticiens sont associés aux items « indigénat et soigner-par-plante ». Le recours aux soins tradithérapeutiques s’explique a priori selon eux par des facteurs socioculturels.

Madame B. K. [Institutrice, mariée, 47 ans], déclare à ce propos : « Pour moi le tradipraticien, c’est celui qui soigne à partir de méthodes traditionnelles que ce soit par des plantes ou des méthodes anciennes utilisées par les plantes africaines pour soigner les malades. Ma grand-mère était une Comian. Elle guérissait les gens aussi avec les visions et les cauris, mais très souvent par les plantes ».

Chef de ménage et confessions religieuses

Pour les ménages chrétiens, le tradipraticien soigne par les plantes avec un fond de fétichisme. Cette représentation est similaire aux ménages musulmans pour lesquels, le tradipraticien use des plantes médicinales avec des incantations ou formules mystiques comme principe actif. Ces deux sous-groupes qui ont pour référence des religions monothéistes (rejet des génies) semblent anathématiser les tradipraticiens, même s’ils leur reconnaissent le « pouvoir » de traiter ou soigner en partie les pathologies par les plantes.

A l’opposé des deux premiers groupes, les ménages de confession animistes adoubent dans leur représentation, les tradipraticiens qui sont perçus comme des guérisseurs qui ont la maitrise des médicaments traditionnels et qui sont des marqueurs de l’identité ou de la culture africaine.

Représentation sociale dévalorisante des tradipraticiens

Il existe un sous-groupe d’enquêtés qui lie dans leur représentation, les tradipraticiens à des charlatans, guérisseurs ou arnaqueurs aux pratiques souvent peu fiables et dominées par le mysticisme.

Madame B. K. [Institutrice, mariée, 47 ans], déclare à ce propos : « Pour moi le tradipraticien, c’est celui qui soigne à partir de méthodes traditionnelles que ce soit par des plantes ou des méthodes anciennes utilisées par les plantes africaines pour soigner les malades. Ma grand-mère était une Comian. Elle guérissait les gens aussi avec les visions et les cauris, mais très souvent par les plantes »

Cela s’exprime par le témoignage de Mme C. F. [Sage-femme, mariée, 45 ans] : « Les tradipraticiens pratiquent une médecine traditionnelle qui est bonne. Le seul souci, c’est que le dosage et l’hygiène des médicaments inquiètent car, nous ne connaissons pas le degré de dosage et le niveau équivalent à l’âge et le poids du malade. Au niveau de l’hygiène, les reproches sont à n’en point finir. Mais, le médicament lui-même est bon souvent et les tradipraticiens aussi. »

L’enquêté G. B. [éducateur, homme, marié, 38 ans] nous dit qu’il les évite systématiquement : « J’évite de solliciter la tradithérapie car pour moi, c’est quand même quelque chose de fort par rapport au dosage de médicament, c’est trop exagéré. Ils ne font pas les dosages de manière normal ce qui peut empiéter sur ton organisme et celui des enfants. C’est à dire que le traitement te soigne mais le dosage est exagérer, alors que lorsque tu pars en pharmacie on te dit prend un comprimé le matin, un à midi et un le soir. Une façon de doser un peu le traitement contrairement aux tradipraticiens. »

Représentation sociale valorisante des tradipraticiens

Les tradipraticiens sont valorisés positivement dans certaines représentations car ils traitent des cas de maladies souvent incurables pour la médecine moderne. Cette position est souvent endossée par certains officiels comme Docteur D. W. [médecin généraliste, Hôpital général de Bonoua, 47 ans] :

« Les tradipraticiens nous sont d’une grande utilité. Les produits qu’on utilise aujourd’hui, ce sont les produits qu’on utilisait avant. Il y’en a qui ont été reconduits dans d’autres pays. Ils ont reconnu l’efficacité de ces médicaments traditionnels aujourd’hui et puis on utilise de façon moderne ! Donc je me dis qu’ils ont leur place, mais qu’ils soient réglementés. Souvent, on prend des choses on ne maitrise pas trop la posologie, vraiment. Il n’y a pas longtemps, il y’a un jeune de mes patients qui avait un problème de rectum, il a pris des médicaments traditionnels et depuis lors son rectum ne descend plus. »

Il existe un sous-groupe d’enquêtés qui lie dans leur représentation, les tradipraticiens à des charlatans, guérisseurs ou arnaqueurs aux pratiques souvent peu fiables et dominées par le mysticisme

La tradithérapie est enracinée dans la culture et très souvent aux sciences occultes. Le continent Africain possède plusieurs méthodes traditionnelles pour traiter des maladies incurables même si le traitement est peu conventionnel par rapport à la médecine moderne. A ce sujet, Docteur T. V. [Médecin généraliste, 50 ans] déclare ceci :

« Ce que je peux dire à ce niveau, c’est que nous sommes en Afrique. Et tout bon africain sait qu’à l’origine, nous avons tous été soignés avec des plantes. Donc, aujourd’hui en Côte d’Ivoire, tout le monde sait que les plantes peuvent soigner. Mais, une autre réalité encore, c’est que dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, cette pratique est encore plus développée. Par exemple, au nord, c’est beaucoup pratiqué, mais au sud ici, on est trop intellectuel. On veut tous aller à l’hôpital d’abord. »

Enjeu socio-sanitaire lié à l’insertion des tradipraticiens au système de santé public

Aujourd’hui, le Ministère de la Santé s’emploie à organiser la corporation en les regroupant afin de pouvoir mieux les contrôler au profit du bien-être sanitaire de la population, car il reconnait l’existence de bons thérapeutes.

Le Docteur T. F. [Médecin généraliste, responsable du Ministère de la Santé pour la localité, 53 ans] le précise en ces termes :

« En Côte d’Ivoire, comme vous le savez, le ministère de la santé a essayé et essaie toujours d’organiser les tradipraticiens. Et puis, il est en train d’établir une collaboration. Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas qu’on ignore complètement les soins qu’il y a dans cette pratique. C’est vrai que nous au ministère de la santé, nous avons fait de la médecine moderne, mais comme je le disais tantôt, les soins moi j’en ai reçu des tradipraticiens et je suis là. On reconnait qu’il y a dans leur pratique là une efficacité. En les organisant et en collaborant avec eux, on pourra savoir ce qui est bon pour les malades surtout. On collabore en termes de complémentarité. C’est ce que le ministère est en train d’organiser ».

Enjeu socio-politique lié à l’insertion des tradipraticiens au système de santé public

Sur le plan juridique et institutionnel, la reconnaissance formelle de l’activité de tradipraticien tarde à prendre forme. Il persiste un clair-obscur qui est source d’incertitude, aussi bien pour les praticiens que pour les patients. Aujourd’hui, un tradipraticien tient sa connaissance après avoir passé un temps d’apprentissage auprès d’un ainé (maitre-formateur).

C’est dans ce sens que monsieur K. D. [Tradipraticien, marié, 55 ans] affirme que : « La collaboration avec le ministère de la santé doit être renforcée. Pour que, de plus en plus, on puisse découvrir les capacités que nous les tradipraticiens avons pour soigner nos parents. Cette collaboration renforcée, c’est aussi sur tous les plans hein ! Sur le plan médico-légal hein ! Nous aussi, on a prêté serment de façon traditionnelle devant les esprits des ancêtres pour bien soigner, donc y’a pas que des escrocs parmi nous. Donc, en nous organisant, on va mettre la déontologie comme pour les docteurs là !

Enjeu socio-identitaire lié à l’insertion des tradipraticiens au système de santé public

La légitimité du tradipraticien est adossée à son utilité sociale et culturelle au profit de la communauté où il prodigue ses soins. En dehors de sa contribution à la couverture des soins primaires des populations, surtout en milieu rural, il est investi de la charge « d’éclaireur ou d’interface » entre les communautés et les mânes des ancêtres.

Il use, ici, de l’ensemble des moyens physiques et métaphysiques, à l’instar des Comians pour promouvoir la santé et améliorer les conditions de vie, de manière générale, des membres de sa communauté. Sur cette base, le tradipraticien est considéré aussi comme le dépositaire du savoir ancestral qu’il a pour mission de répandre dans la société et est un élément central d’identification et de valorisation de l’identité culturelle d’un peuple donné.

Discussion

La discussion est construite autour de deux grands points qui sont les représentations sociales des tradipraticiens chez les acteurs identifiés et les enjeux liés à l’insertion des tradipraticiens au système de santé public ivoirien.

Représentations sociales valorisantes des tradipraticiens

Pour un sous-groupe d’acteurs sociaux, il existe des maladies qui ne peuvent être traitées par la médecine moderne et la tradithérapie à plusieurs fois prouvé son efficacité en guérissant ces maladies dites incurables.

Aujourd’hui, le Ministère de la Santé s’emploie à organiser la corporation en les regroupant afin de pouvoir mieux les contrôler au profit du bien-être sanitaire de la population, car il reconnait l’existence de bons thérapeutes

Ces faits sont structurants de la représentation sociale positive des tradipraticiens comme le confirme Suissa (2017) en ces termes : « malgré les avancées thérapeutiques, la médecine scientifique est effectivement confrontée à ses propres limites et le cancer reste, de nos jours, un véritable fléau ». Ainsi de nombreuses personnes qui souffraient de sorts, de maladies mystiques et d’autres maladies de la même catégorie, ont trouvé satisfaction en allant voir les tradipraticiens.

Représentations sociales dévalorisantes des tradipraticiens

La modernisation du domaine médical a contribué à installer la médecine occidentale actuelle (factuelle et technicienne) comme pratique dominante et par là même, à rendre moins légitimes les médecines dites traditionnelles (médecine hétérodoxe).

Les tradithérapeutes qui sont porteurs de la connaissance culturelle apparaissent comme des « bibliothèques vivantes » d’une pharmacopée et d’un savoir local qui disparaissent avec leur mort physique ou sociale. Aussi, une politique nouvelle devrait permettre de disposer dans ce domaine, d’une base de connaissances et d’expériences évolutive pour atténuer cette perte

Nous pouvons ainsi y voir les fondements d’une séparation qui prend appui sur la mobilisation dans la tradithérapie d’une dimension socio-culturelle (mystique) qui nourrit chez plusieurs, la dépréciation représentationnelle de ce choix thérapeutique. Cette conjoncture est validée par Fainzang (1982) quand il écrit que « tant dans sa phase diagnostique que dans sa phase thérapeutique, la cure fonctionne comme mythe ». En effet, « la maladie et tous les faits qui s’y rapportent, et qui menacent l’intégrité de l’homme sont, dans ce champ de connaissances et de pratiques, perçus et rattachés aux manifestations du monde de l’invisible ».

Enjeux liés à l’insertion des tradipraticiens au système de santé public ivoirien

Les enjeux associés à la thématique traitée sont protéiformes et touchent aux dimensions institutionnelle, juridique, sociale, économique, sanitaire ou encore identitaire. Ces éléments incitent les multiples acteurs aux différents niveaux d’insertion sociopolitique à œuvrer à la professionnalisation des tradithérapeutes pour donner corps à leur intégration dans le système de santé public formel.

Dans une dimension structuro-organisationnelle, les tradipraticiens sont caractérisés comme des acteurs qui n’ont pas de compétence et de formation académique. L’ultima ratio serait de favoriser l’augmentation du potentiel des soins de santé primaires par des tradithérapeutes afin de couvrir les besoins des populations surtout rurales.

Les tradithérapeutes qui sont porteurs de la connaissance culturelle apparaissent comme des « bibliothèques vivantes » d’une pharmacopée et d’un savoir local qui disparaissent avec leur mort physique ou sociale. Aussi, une politique nouvelle devrait permettre de disposer dans ce domaine, d’une base de connaissances et d’expériences évolutive pour atténuer cette perte.

Conclusion

Les tradipraticiens ont un impact social, économique, identitaire et sanitaire sur notre société même s’ils font l’objet de polémiques. Face à la nostalgie pour la tradition qui est, ici, invocatrice, les autorités politico-administratives de l’Etat de Côte d’Ivoire doivent allier la médecine dite traditionnelle à celle dite moderne pour une meilleure qualité de soin de leurs populations. C’est dans ce cadre holiste de la socio-anthropologie de la maladie qu’il faut inscrire la revalorisation de la médecine traditionnelle africaine par le biais de la présente recherche.

 

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