« Les médias ivoiriens sont encore plus dans les périodes de crise, un baromètre de la vie sociale », entretien avec Zohoré Lassane, président du Groupement des éditeurs de presse de Côte d’Ivoire

« Les médias ivoiriens sont encore plus dans les périodes de crise, un baromètre de la vie sociale », entretien avec Zohoré Lassane, président du Groupement des éditeurs de presse de Côte d’Ivoire
Doué pour le dessin, Zohoré Lassane fait son entrée à l’Institut national des Arts en 1985. La même année, il commence sa collaboration avec le quotidien gouvernemental « Fraternité Matin » où il animera la rubrique « Le sourire du jour » pendant une dizaine d’années. En 1987, il embrasse le métier d’illustrateur publicitaire à Ivoire Média, l’une des premières agences de communication de la Côte d’Ivoire. En 1992, il rejoint l’agence américaine McCann-Erickson où il gravit tous les échelons pour occuper le poste de Directeur artistique. Lassane Zohoré s’installe à son propre compte six ans plus tard. Il crée ainsi « Les Studios Zohoré » et un an plus tard, avec Illary Simplice, il lance l’hebdomadaire satirique GBICH !
Aujourd’hui, Zohoré Lassane est à la tête d’un groupe multimédia composé des trois hebdomadaires, de 2 sites internet, d’une webradio, d’un studio d’animation 2D/3D et d’une chaîne YouTube. Il est le président de Tache d’Encre une Association des dessinateurs de presse et de la BD de Côte d’Ivoire.

L’histoire des caricatures dans la presse ivoirienne 

La culture belge dont ont bénéficié les Congolais a permis à la bande dessinée, de se développer d’abord dans ce pays avant de gagner le reste de l’Afrique. Vu que la population africaine était majoritairement analphabète, on pouvait facilement, par les dessins, communiquer avec elle.

Si on remonte plus loin, on voit que les peintures rupestres étaient une sorte de bande dessinée puisqu’elles racontaient les habitudes de vie et de culture des populations à l’époque. C’est ainsi que les choses ont démarré. Aujourd’hui, les bandes dessinées sont une forme d’expression incontournable dans nos sociétés.

Cela dit, il faut faire une différence entre le dessinateur de bandes dessinées, le dessinateur de presse et le caricaturiste. Le caricaturiste est là pour critiquer et mettre le doigt souvent sur ce qui ne va pas dans la société. En revanche, quand on parle de bande dessinée, la palette est plus large avec des acteurs engagés également mais pas seulement.

En Côte d’Ivoire, l’avènement des premières caricatures remonte aux années 60 avec le quotidien « Abidjan Matin » qui est devenu aujourd’hui « Fraternité Matin ». C’étaient surtout les Européens qui dessinaient. Avec le temps, les locaux ont pris le relais. En 1999, « Gbich! » a vu le jour. Aujourd’hui, c’est le plus ancien hebdomadaire en Côte d’Ivoire. Il s’agit d’un journal d’humour et de bande dessinée qui est devenu un baromètre de la vie sociale en Côte d’Ivoire. C’est la première publication satirique du genre dans le pays.

L’engagement citoyen que portent les caricaturistes

Comme les écrivains ou les historiens, les caricaturistes et dessinateurs de bandes dessinées essaient aussi d’apporter leur pierre à l’édifice, à l’évolution du monde. La bande dessinée aide en Afrique à faire évoluer les mentalités en expliquant certaines choses de façon didactique et pédagogique pour toucher la grande partie de la population qui n’a pas accès à l’éducation formelle. C’est ainsi qu’il existe des bandes dessinées humoristiques, celles qui racontent une histoire ou sensibilisent les lecteurs. Les bandes dessinées et les caricatures ont apporté et continuent d’apporter une plus-value à la culture africaine.

Le caricaturiste est là pour critiquer et mettre le doigt souvent sur ce qui ne va pas dans la société

Le dessin a quelque chose de magique, tout simplement. Il faut déjà voir le croisement des traits, qui après, traduit quelque chose pour le lecteur. Le dessinateur est un être particulier parce qu’il amène les gens à réfléchir à travers l’image. Quand on prend la caricature, elle apporte une note inédite et créative à la presse. Les artistes africains jouent pleinement leur rôle.

En 2000, le général Robert Guéï a fait un coup d’État. Il disait qu’il était venu pour balayer et repartir. Finalement, il décide d’être candidat à l’élection présidentielle. « Gbich ! » avait titré : « Guéï dribble tout le monde ». Ce titre a secoué la Côte d’Ivoire. Les militaires ont même cherché à localiser notre siège.

Pendant la crise de 2010, on a mis le doigt à plusieurs reprises sur ce qui n’allait pas dans le débat politique. Au moment de la crise postélectorale, chaque candidat réclamant la victoire, on publiait des choses chaque semaine pour remonter le moral aux Ivoiriens en transformant l’actualité politique en plaisanterie. C’est un exercice délicat, mais nous l’avons fait et les Ivoiriens nous l’ont reconnu plus tard.

Je me souviens en 2007, avoir participé à une rencontre entre la société civile ivoirienne et les politiciens au Ghana. Il s’agissait à l’occasion de cette rencontre organisée par la Suisse de trouver des solutions pour la sortie de la crise politico-militaire. Les participants ont été triés sur le volet au sein de la société civile, de la classe politique, des religieux…Et on avait demandé à chaque personne de venir avec ce qui, pour lui, représentait la Côte d’Ivoire.

En 2000, le général Robert Guéï a fait un coup d’État. Il disait qu’il était venu pour balayer et repartir. Finalement, il décide d’être candidat à l’élection présidentielle. « Gbich ! » avait titré : « Guéï dribble tout le monde »

Un participant était venu avec un exemplaire de « Gbich! » parce que pour lui, c’était un symbole de la Côte d’Ivoire. C’est la preuve que les caricatures font partie intégrante de la vie des Ivoiriens. Les médias ivoiriens sont encore plus dans les périodes de crise, un baromètre de la vie sociale.

Une autre preuve que les caricatures sont rentrées dans les mœurs des Ivoiriens c’est quand le président Alassane Ouattara  reconnaît qu’il est un grand lecteur de « Gbich ! ». Même Laurent Gbagbo avait fait une visite à notre siège, pour dire qu’il était un grand lecteur de « Gbich !».

Les défis de la presse imprimée en Côte d’Ivoire

La presse écrite perd du terrain. Depuis une dizaine d’années, il y a de nouvelles habitudes de consommation. Les lecteurs préfèrent lire sur les tablettes et smartphones. Globalement, je pense que la presse papier a de l’avenir en Côte d’Ivoire, mais au niveau du numérique, les choses vont très vite et il faut suivre le mouvement au risque de disparaitre.

Les nouveaux médias en Côte d’Ivoire et les « fake news »

On note une recrudescence des fausses informations sur Internet parce que vous avez beaucoup de personnes qui, n’étant pas journalistes de métier, ne savent pas que pour véhiculer une information, il faut d’abord la vérifier et faire des recoupages. Consciemment ou inconsciemment, les gens font la propagande des fake news.

La presse papier a de l’avenir en Côte d’Ivoire, mais au niveau du numérique, les choses vont très vite et il faut suivre le mouvement au risque de disparaitre

C’est un phénomène qui touche également les relations bilatérales. Les fake news ont été l’objet d’un incident diplomatique entre le Niger et la Côte d’Ivoire. Il y a une dame qui a publié des personnes battues par un peuple. Certains ont prétexté que ce sont des Ivoiriens battus par des Nigériens. Du coup, la population ivoirienne s’est soulevée pour en découdre avec la communauté nigérienne. Il y a eu des magasins pillés et des blessés. Cependant, il y a très peu de fake news dans la presse imprimée en raison de la présence de l’Autorité nationale de la presse qui veille au grain. Ses pouvoirs sont en train d’être élargis aux médias virtuels et on espère que cela va changer la donne.

Sur ce point, les avis sont partagés. Pour ma part, même si on est pour la liberté d’expression, il faut essayer de réguler parce qu’il y a trop de dérapages, de diffamations et d’affirmations gratuites. Réguler ce domaine en Côte d’Ivoire est un mal nécessaire.

Crédit photo : ivoiresoir.net

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