En Côte d’Ivoire, la bio-architecture, solution face au tout-béton ?, Reporterre, octobre 2020

En Côte d’Ivoire, la bio-architecture, solution face au tout-béton ?, Reporterre, octobre 2020

Auteur : Mariam Koné

Site de publication : Reporterre

Type de publication : Article

Date de publication : 23 octobre 2020

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

En Côte d’Ivoire, où la climatisation est massivement utilisée, des architectes réinvestissent les techniques de construction traditionnelles. Contre le tout-béton, ils cherchent à élaborer des habitats durables, en harmonie avec leur environnement.

Mangroves en danger

En Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, 55 % de l’énergie est utilisée pour refroidir les habitats. Dans une quête de modernité, les pays africains ont copié l’architecture européenne basée sur le béton, qui coûte cher financièrement, mais aussi écologiquement à cause de l’exploitation du sable qui favorise l’érosion des côtes.

« L’impact de la houle combiné à l’exploitation des matériaux marins (sables et graviers), favorise l’érosion côtière qui atteindrait deux mètres par an. Les conséquences sont multiples telles que des déplacements de populations, la destruction d’infrastructures ou d’écosystèmes fragiles comme les mangroves… », explique le ministère de l’Environnement ivoirien dans un rapport du programme de prévention des risques liés aux catastrophes naturelles en Côte d’Ivoire.

Entre mai 2017 et juin 2018, 45 Ivoiriens ont perdu la vie dans des inondations et glissements de terrain. Depuis 2009, en moyenne treize personnes décèdent chaque année dans la ville d’Abidjan à cause des inondations et des glissements de terrain associés aux pluies extrêmes. 

À partir de tels constats, bon nombre d’architectes remettent aujourd’hui en question l’utilisation du béton dans les constructions, une pratique inadaptée au climat et au mode de vie de la région.

En Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, 55 % de l’énergie est utilisée pour refroidir les habitats. Dans une quête de modernité, les pays africains ont copié l’architecture européenne basée sur le béton, qui coûte cher financièrement, mais aussi écologiquement à cause de l’exploitation du sable qui favorise l’érosion des côtes

Une vague de jeunes et de moins jeunes architectes se tournent vers l’architecture bioclimatique, plus respectueuse de l’environnement.

80 % des matériaux de construction sont importés

À moins d’une centaine de kilomètres d’Abidjan, à Assinie Mafia, Mahoua Fadika Delafosse vit dans une maison bien différente de celles qu’on a l’habitude de voir dans cette station balnéaire, composée principalement de résidences secondaires. « Je ne voyais pas l’intérêt de m’enfermer dans une maison en béton avec la climatisation toute la journée. Je voulais une maison d’inspiration africaine respectueuse de l’environnement », dit-elle. En Côte d’Ivoire, 80 % des matériaux utilisés pour la construction sont importés, selon le ministère du Logement.

« Ici c’est le contraire. 80 % des matériaux sont locaux, le reste vient uniquement de matériaux recyclés », raconte Mahoua. Dans cette grande résidence, les murs sont en terre et les carreaux de la piscine recyclés. « Avant même de commencer à construire la maison, ils ont planté des arbres, mis de côté ceux qui étaient là pour les replacer par la suite. Aujourd’hui, j’aimerais bien que la maison disparaisse derrière la végétation alors je continue à planter », poursuit-elle.

À partir de tels constats, bon nombre d’architectes remettent aujourd’hui en question l’utilisation du béton dans les constructions, une pratique inadaptée au climat et au mode de vie de la région

Retour à Abidjan. La résidence Chocolat donne l’impression d’être dans une autre ville. Ses habitants peuvent profiter de 57 % d’espaces verts, bien plus que pour la majorité des Abidjanais. Ici, on vit tous ensemble. Le jardin est partagé. « Chocolat est l’exemple de l’habitat de demain, celui de la vie en communauté », explique son architecte, Guillaume Koffi.

Éric, lui, vit avec sa femme et ses enfants, dans une maison en bio-architecture, construite il y a tout juste 4 ans. « Pas besoin de climatisation et on utilise très peu les lumières artificielles. Ça vaut son prix, mais les coûts sont amortis puisqu’on économise sur la facture d’électricité et qu’on n’utilise pas de peinture ou d’enduit. Sur le long terme ça revient moins cher qu’une maison non », détaille-t-il avec le sourire.

La résidence Chocolat et les pavillons font partie des réalisations de l’agence Koffi & Diabaté Group, renommée dans la bio-architecture en Afrique. « Le logement doit répondre à des problématiques climatiques, sociales, culturelles, en somme, des problématiques de vie. Notre objectif d’architectes est de penser l’habitat de demain et nous sommes intimement convaincus que c’est un habitat qui se doit d’être durable », dit Issa Diabaté, architecte cofondateur de cette agence.

La bio-architecture s’inspire fortement des méthodes de construction traditionnelles utilisant les ressources locales.

Dans les villages où la course de la modernité n’est pas encore arrivée, les constructions en terre répondent aux besoins et contraintes des habitants. Ce sont elles qui inspirent ces architectes qui veulent donner aux Africains la possibilité de vivre dans le confort tout en respectant l’environnement.

Aujourd’hui, le cabinet d’architecture a mené à bout 300 projets en presque 20 ans. Avec comme principe l’utilisation de matériaux locaux et/ou recyclés, la ventilation et l’éclairage naturel, la maîtrise du cycle de l’eau, ainsi que la réduction des déchets et la maîtrise de leur élimination. « Nous n’allons pas faire de promesses farfelues avec des panneaux solaires ou autres. Simplement, nous partons du fait que la nature est le centre de tout. Nos constructions se font en harmonie avec elle. Avant de construire une maison, on va regarder l’orientation du soleil, la direction du vent, la végétation qui nous entoure… Dans notre construction, la nature est le centre, le commencement », dit avec passion Issa Diabaté.

À Abidjan, une urbanisation « chaotique »

Guillaume Koffi, qui fut pendant plusieurs années président de l’ordre des architectes ivoiriens, pointe du doigt l’absence de volonté des pouvoirs publics ivoiriens pour la bio-architecture. Un jugement confirmé par le ministère du Logement ivoirien qui qualifie l’urbanisation de la capitale économique du pays, qui accueille 20 % de la population ivoirienne, de « non contrôlée » et « chaotique ».

La bio-architecture est un domaine qui gagne du terrain sur le continent même s’il reste difficile à quantifier. Dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal, le Burkina Faso ou encore le Mali, des architectes mondialement connus portent ce combat. Une bonne nouvelle pour un continent dont l’ONU considère que 80 % des logements qui serviront en 2050 sont encore à construire.

 

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