« En Afrique, la vision traditionnelle du sport qui est celle d’un loisir doit évoluer vers une vision plus économique, porteuse de croissance et créatrice d’emplois», entretien avec Stéphane Okou, spécialiste des questions liées à l’investissement

« En Afrique, la vision traditionnelle du sport qui est celle d’un loisir doit évoluer vers une vision plus économique, porteuse de croissance et créatrice d’emplois», entretien avec Stéphane Okou, spécialiste des questions liées à l’investissement
Auteur du livre « la protection des investissements internationaux en Côte d’Ivoire » paru chez EDILIVRE en mai 2017 en France, Stéphane OKOU intervient en tant que consultant sur les questions juridiques liées à l’investissement, la gestion de projets et l’entreprenariat.
Stéphane Okou est en fonction actuellement à la Cellule de Coordination de la Coopération Côte d’Ivoire-Union Européenne (CCCCI-UE) en qualité de Chef d’Unité marchés, contrats et juridique. Avant de rejoindre cette Cellule qui dépend du cabinet du ministre de l’Economie et des Finances, il a travaillé au Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI) en tant que Chargé d’études investissement.
Il a conseillé des investisseurs nationaux et internationaux sur les opportunités d’investissement et l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire et les accompagnait dans le cadre de la réalisation de leurs investissements respectifs dans le pays.

Quelle est la situation des investissements en Côte d’Ivoire ?

En matière d’investissements, je dirai que la Côte d’Ivoire est un pays attractif qui attire de nombreux capitaux étrangers. Pour preuve, le taux d’investissement global dans le pays se situe à plus de 20% du Produit intérieur brut (PIB) entre 2017 et 2021, dont 70% d’investissements privés sur la période selon les chiffres de la Direction générale de l’économie du pays.

Mieux, ces investissements massifs à la fois de l’État et du secteur privé, ont fortement contribué à la croissance économique du pays qui a enregistré entre 2013 et 2019 une croissance moyenne de 7,8%. De ce fait, la Côte d’Ivoire est l’un des pays à la croissance la plus rapide au monde, et elle a même intégré le cercle des notations de catégorie « double B » des trois plus grandes agences internationales de notation.

Par ailleurs, l’effet de ces investissements a permis au pays de gagner 24 places dans le classement des pays les plus prospères au monde, soit la plus forte croissance dans le domaine selon l’édition 2021 du Prosperity Index (Indice mondial de la Prospérité), publié chaque année par le Think Tank britannique, Legatum Institute.

À titre d’exemple, suivant les chiffres communiqués par le Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), le pays a enregistré 817 milliards de francs CFA d’investissements publics et privés dans le seul secteur touristique en Côte d’Ivoire entre 2014 et 2021.

Tous ces résultats ont été rendus possibles grâce aux efforts consentis par l’Etat de Côte d’Ivoire depuis 10 ans à travers de nombreuses réformes structurantes. D’abord, la réforme de sa politique d’attraction d’investissement à travers l’adoption d’un nouveau code d’investissement en 2012 et la création du CEPICI en tant que guichet unique de l’investissement, avec pour mission de rationaliser et centraliser toutes les initiatives d’investissements privés dans le pays et la conduite de la politique d’amélioration du climat d’affaires focus Doing Business de la Banque mondiale.

Par ailleurs, l’effet de ces investissements a permis au pays de gagner 24 places dans le classement des pays les plus prospères au monde, soit la plus forte croissance dans le domaine selon l’édition 2021 du Prosperity Index (Indice mondial de la Prospérité), publié chaque année par le Think Tank britannique, Legatum Institute

Ce qui a permis à la Côte d’Ivoire de passer de la 177ème place en 2012 à la 110ème place en 2020 au classement Doing Business, soit 67 places de différence. Mais depuis août 2018, afin de prendre en compte les évolutions du moment, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’un nouveau code des investissements qui établit un ensemble de mesures incitatives mises en place dans le souci d’adapter le régime des investissements privés aux nouvelles données de l’économie, notamment aux perspectives de croissance.

À côté des réformes indiquées plus haut, le pays a également procédé à l’adoption d’un code du tourisme, d’un nouveau code minier et bien d’autres textes en vue d’attirer davantage d’investissements dans les secteurs clés de l’économie.

Au-delà des réformes, la forte croissance économique, la stabilité politique, la sécurité et la dimension multiculturelle de la Côte d’Ivoire fait de ce pays une terre d’accueil où il fait bon vivre et surtout une terre d’investissements où étrangers et nationaux sont traités de la même manière.

Quelles sont les retombées économiques attendues de la Coupe d’Afrique des Nations qui doit se tenir en Côte d’Ivoire en 2023 ?

La Coupe d’Afrique des Nations est l’événement sportif le plus important du continent africain. C’est un rendez-vous incontournable pour les adeptes du football mais surtout pour tous les peuples africains. Cette fête de la célébration du football est en réalité un événement rassembleur qui draine du monde venant de tous les pays africains, mais également du monde entier. Il attire les investisseurs du monde du football, les présidents de clubs, les recruteurs et toutes les personnes qui ont un intérêt dans le football.

Au regard de ce qui suit, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) peut s’avérer être une vitrine pour promouvoir le pays hôte. D’abord, la CAN permet au pays organisateur d’être sous le feu des projecteurs durant toute la durée du tournoi et même au-delà. Cela est d’autant plus vrai que tous les médias sportifs du continent et ceux du monde retransmettent les matchs et organisent des émissions télévisées dédiées exclusivement à la CAN.

Le pays a également procédé à l’adoption d’un code du tourisme, d’un nouveau code minier et bien d’autres textes en vue d’attirer davantage d’investissements dans les secteurs clés de l’économie

Le nom du pays hôte est donc constamment associé à la CAN et ce faisant, elle peut saisir cette opportunité pour montrer son savoir-faire, ses opportunités d’investissements notamment dans le sport, le tourisme, la restauration, les services et d’autres secteurs.

Ensuite, l’arrivée des équipes nationales participantes et l’afflux des supporteurs et visiteurs génèrent d’importants revenus pour les réceptifs hôteliers, les commerçants, les restaurateurs, les services financiers et les artisans du pays hôte.

Enfin, la CAN est créatrice de plusieurs milliers d’emplois même si certains sont temporaires, ce qui participe à la réduction du chômage des jeunes et de la pauvreté in fine.

On le voit bien, la Côte d’Ivoire attend énormément de la CAN 2023 et elle suscite déjà un réel engouement auprès des populations d’autant plus qu’elle générera de réelles et nombreuses retombées économiques pour le pays.

Comment analysez-vous la façon dont les Start-ups se préparent pour saisir les opportunités économiques issues de cette fête sportive ?

Je crois que les Start-ups ivoiriennes qui côtoient ce milieu, sont déjà prêtes à saisir les opportunités que pourraient leur offrir la CAN. En réalité, les petites entreprises évoluent dans un environnement quelque peu austère qui appelle de leur part abnégation, courage, résilience et persévérance pour pouvoir exister.

 Le nom du pays hôte est donc constamment associé à la CAN et ce faisant, elle peut saisir cette opportunité pour montrer son savoir-faire, ses opportunités d’investissements notamment dans le sport, le tourisme, la restauration, les services et d’autres secteurs

Les Start-ups ont le mérite d’intégrer dans leur fonctionnement tous les défis qui se dressent devant elles et d’y faire face afin de poursuivre leur initiative entrepreneuriale. Ces challenges qui sont bien souvent le manque de cadre juridique et institutionnel dédié aux Start-ups, les difficultés d’accès aux financements adaptés, l’absence d’accompagnement ou le faible taux d’incubateurs, conduisent les Start-ups à faire preuve d’ingéniosité pour pouvoir évoluer.

Ceci me fait dire qu’elles sont outillées pour répondre et saisir les opportunités de la prochaine CAN 2023, car depuis peu l’Etat a entrepris d’importantes réformes pour aider les PME, et donc les Start-ups, à bénéficier d’accompagnent et de financement à travers la création de la Société d’Etat pour la promotion des PME et une agence de garantie pour permettre aux PME d’accéder aux financements aisément.

En conclusion, je dirai que les Start-ups sont prêtes à profiter de la CAN pour redorer leur blason grâce à l’appui de l’Etat.

La situation du secteur l’informel en Côte d’Ivoire est-elle préoccupante ? Quelle sera selon vous, la plus-value de ce secteur avec l’organisation de la CAN 2023 ?

L’économie ivoirienne dépend à plus de 70% du secteur informel qui emploie plus de 80% des travailleurs dans le pays. L’importance de ce secteur n’est donc plus à démontrer dans l’économie ivoirienne, notamment par sa grande capacité de création d’emplois et par sa faculté à générer d’importants flux financiers.

En réalité, les petites entreprises évoluent dans un environnement quelque peu austère qui appelle de leur part abnégation, courage, résilience et persévérance pour pouvoir exister

Sa situation n’est donc pas préoccupante mais en réalité ce secteur se porte bien même s’il a subi de plein fouet les conséquences de la Covid-19, pour lesquelles l’Etat a mis en place un programme ambitieux de soutien aux entreprises du secteur informel impactées par cette pandémie.

Revenons donc à la plus-value de ce secteur à l’organisation de la CAN 2023. Je dirai que c’est le secteur informel qui tirera le plus profit de ce grand rendez-vous sportif. Ce secteur regroupe les commerçants, les artisans, les petits restaurateurs, c’est-à-dire ceux qui ont la faculté de délocaliser leurs activités auprès des stades et terrains d’entrainement qui drainent du monde afin de vendre leurs différents services (vente de maillots, plats locaux, gadgets).

A cela s’ajoute la curiosité des visiteurs qui bien souvent durant ce type d’événement, partent parcourir les marchés et rues chaleureuses qui abritent de nombreux acteurs du secteur informel afin de prendre le pouls du pays, d’expérimenter la convivialité locale et de découvrir le savoir-faire à l’ivoirienne.

En outre, c’est également l’occasion pour des gens modestes qui vivent dans les lieux touristiques et les villages attractifs de proposer leur expertise aux touristes qui viennent à la fois participer à la CAN et visiter le pays.

L’économie ivoirienne dépend à plus de 70% du secteur informel qui emploie plus de 80% des travailleurs dans le pays. L’importance de ce secteur n’est donc plus à démontrer dans l’économie ivoirienne, notamment par sa grande capacité de création d’emplois et par sa faculté à générer d’importants flux financiers

Au vu de tout ceci, je conclurai pour dire que le secteur informel, qui est le reflet de la société ivoirienne, jouera pleinement sa participation dans la réussite de cette édition de la CAN, d’autant plus que ce secteur  s’adapte facilement à ce type d’évènement afin de répondre aux besoins des visiteurs.

Y a-t-il selon vous, une discrimination entre investisseurs étrangers et locaux ?

En Côte d’Ivoire, il n’y a pas de différence entre investisseurs locaux et étrangers. Tous sont logés à la même enseigne et jouissent des mêmes droits et devoirs. Cela est vrai à la lumière des dispositions du code d’investissement de 2018 et des autres codes sectoriels. Je dirai même que les investisseurs étrangers dans la pratique sont mieux lotis que les investisseurs locaux en raison de la culture locale qui fait de l’étranger un roi.

On voit que le foot africain n’est plus rentable à travers les championnats. Les jeunes talents préfèrent également souvent braver la mer au péril de leur vie pour tenter une chance en Europe. Comment redonner, un nouveau souffle à l’économie sportive africaine et plus spécifiquement de la Côte d’Ivoire ?

L’économie sportive en Afrique et plus précisément en Côte d’Ivoire a besoin d’un second souffle, d’un nouveau départ dans le cadre d’une approche holistique. Tous les acteurs de l’économie sportive doivent se trouver autour d’une table dans le cadre d’états généraux ou cadres de réflexion pour définir les nouveaux sentiers pour améliorer et développer l’économie autour du sport.

Qu’il s’agisse de l’État, des fédérations, des associations ou encore des professionnels du sport, il va falloir se réunir autour d’une même table pour discuter des problèmes des différents sports. Ces concertations doivent déboucher sur l’élaboration d’une stratégie de développement de l’économie sportive.

En Afrique, la vision traditionnelle du sport qui est celle d’un loisir doit évoluer vers une vision plus économique et vecteur de croissance, de création d’emplois et d’investissements. Pour y arriver, il va falloir changer la dénomination des Ministères en charge du sport en Afrique qui généralement est intitulé « Ministère des Sports et Loisirs » pour la faire évoluer vers une dénomination du type « Ministère de l’Économie Sportive et la promotion des sports ou Ministère des Sports et de l’Economie Sportive ».

Par ailleurs, il est important de faire comprendre aux acteurs du secteur qu’ils ne doivent pas tout attendre de l’État et de ses aides ou subventions, mais qu’ils ont pour obligation de mobiliser des financements locaux ou extérieurs pour développer leur sport à travers des partenariats entre fédérations, entre clubs et des jumelages.

En Afrique, la vision traditionnelle du sport qui est celle d’un loisir doit évoluer vers une vision plus économique et vecteur de croissance, de création d’emplois et d’investissements

De plus, il est nécessaire d’assainir le milieu du sport parfois gangrené par la corruption, la mauvaise gouvernance, les détournements de fonds, le clientélisme, le favoritisme, le harcèlement sexuel et bien d’autres maux. Sans cela, tout ce qui sera entrepris par les parties prenantes  est destinée à être voué à l’échec.

Enfin, il faut redonner l’envie aux jeunes de vouloir réussir par le sport en étant chez eux à travers une revalorisation salariale, la promotion de l’excellence et de la culture du mérite.

Il y a souvent un débat sur la durabilité des profits économiques issus des compétitions sportives comme la CAN : quel est votre point de vue sur la question ?

Ce débat, je le qualifie de faux débat car en réalité, comme développé précédemment, l’organisation d’une grande compétition sportive débouche effectivement sur d’énormes retombées économiques pour le pays. Cela n’est pas discutable et je dirai qu’il est important pour tout pays de faire en sorte de pouvoir abriter ce type d’évènement.

Selon moi, la question de la durabilité des profits tirés de la CAN ou d’autres compétitions majeures n’est pas fonction de l’évènement en lui-même mais bien de la suite donnée à ces retombées par le pays hôte. Le problème qui se pose, c’est que de nombreux pays africains ne voient en la CAN, qu’un évènement de réjouissance nationale, un tremplin pour redorer l’image politique des dirigeants africains à travers le monde sans jamais bâtir une stratégie pour capter durablement les opportunités créées par ce grand rendez-vous. En un mot, tout est mis en œuvre uniquement pour permettre aux populations de se réjouir et aux dirigeants de se refaire une popularité sans que l’aspect économique ne soit mis en lumière. Ce qui se traduit bien évidemment par l’abandon des édifices sportifs après ces compétitions.

Pour y remédier, il va falloir remettre au cœur du sport, les questions économiques, notamment la création durable de richesse, d’emplois et le développement du sport comme secteur clé pour la vie économique d’un pays.

Comment garantir des investissements durables dans le monde du sport africain ?

La durabilité des investissements dans le sport est fonction de la vision de départ de l’Etat considéré. Que veut faire l’Etat du sport ? Quelle place l’Etat accorde-t-il au sport dans son plan de développement économique ? simplement un loisir ? ou un secteur d’activité à même de contribuer au rayonnement économique du pays ?

De la réponse à ces interrogations dépend la durabilité des investissements dans le monde du sport. Si l’Etat considère le sport comme un loisir, il sera difficile d’attirer des financements et donc d’aboutir à des investissements durables.

De nombreux pays africains ne voient en la CAN, qu’un évènement de réjouissance nationale, un tremplin pour redorer l’image politique des dirigeants africains à travers le monde sans jamais bâtir une stratégie pour capter durablement les opportunités créées par ce grand rendez-vous

A contrario, si l’Etat fait du sport un secteur, une activité à part entière à même de participer au développement économique et social du pays, alors, c’est évident qu’il mettra tout en œuvre pour attirer les  investissements durables dans le sport.

Afin d’y arriver, il va falloir mettre en place un cadre juridique et institutionnel attractif pour le secteur du sport. Définir une stratégie de promotion de l’économique sportive à travers l’identification de projets sportifs structurants, inclusifs qui prennent en compte toutes les exigences des parties prenantes.

En outre, il faut assainir le secteur du sport comme tous les autres en s’extirpant des pratiques de corruption, de détournements, de la culture du favoritisme et de tous les maux qui impactent ce milieu.

Enfin, il faut mobiliser les financements nécessaires au développement de l’économie sportive afin d’en faire un secteur attractif qui crée des opportunités d’emplois et de la richesse pour tous les acteurs et au-delà du pays.

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