Des discriminations renforcées par la privatisation du système éducatif en Côte d’Ivoire : le cas des élèves de l’enseignement secondaire, Université de Genève, 21 décembre 2022

Des discriminations renforcées par la privatisation du système éducatif en Côte d’Ivoire : le cas des élèves de l’enseignement secondaire, Université de Genève, 21 décembre 2022

Auteurs : Amadou Dahou, Amani Kouamé, Thibaut Lauwerie 

Site de publication : L’éducation en débats  

Type de publication : Article  

Date de publication : Décembre 2022  

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par le WATHI et sont conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI en fonction de leur pertinence par rapport au contexte national. Toutes les Wathinotes renvoient à des publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées sur le site du WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, qui sont le résultat du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 

INTRODUCTION

Une recherche menée par le Réseau de Recherche Francophone sur la Privatisation de l’Éducation dans cinq pays d’Afrique francophone, dont la Côte d’Ivoire, a mis en évidence une présence accrue du secteur privé dans l’enseignement secondaire face 2 à une offre publique insuffisante et une demande sociale d’éducation de plus en plus forte à ce niveau d’enseignement dans un contexte de massification scolaire. Tout en soulignant de fortes disparités dans le choix des familles, les effectifs d’élèves dans le privé au niveau secondaire ont doublé de 1980 à 2020, et la part de ces effectifs est passée de 28 % à 55 % dans ce pays.

Le Rapport d’état du système éducatif national de la Côte d’Ivoire a mis l’accent sur l’enquête démographique et de santé et à indicateurs multiples (EDS-MICS) de 2012, qui a identifié de profondes inégalités en lien avec le niveau d’études, la localisation, le genre et le niveau de vie des familles. Ainsi, la question est de savoir dans quelle mesure la privatisation a contribué à l’accroissement des discriminations chez les élèves de l’enseignement secondaire.

Les frais d’inscription et annexes, sources de discrimination dans les établissements scolaires privés

En Côte d’Ivoire, les frais d’inscription correspondent au droit d’inscription et de réinscription. Ils sont de 3 000 F CFA (4,57 euros) dans les établissements scolaires secondaires privés et de 6 000 F CFA (9,14 euros) dans les établissements scolaires secondaires publics. Cette différence s’explique par le fait que le surplus de la contribution des élèves des écoles publiques alimente les caisses des Comités de Gestion, inexistants dans les établissements scolaires privés.

Quant aux frais annexes, ils concernent les diverses prestations fournies par l’établissement à l’ensemble des élèves. Ces frais sont fixés de 0 à 37 000 F CFA (56,40 euros) par élève, par année scolaire . Les frais annexes s’appliquent uniquement dans les établissements secondaires privés. Ces frais sont payés par l’ensemble des élèves des établissements scolaires privés. 

Des frais complémentaires, source de discrimination dans le système éducatif ivoirien

Par l’Arrêté Nº0059/MEN/CAB/SAPEP du 29 avril 2008, l’État crée deux catégories d’élèves affecté-es ou orienté-es dans les établissements secondaires publics et privés.  

L’affectation concerne les élèves du CM2 admis en sixième alors que l’orientation en classe de seconde concerne les élèves de la classe de troisième ayant obtenu une moyenne d’orientation supérieure ou égale à 10. Les élèves affecté-es ou orienté-es dans les établissements scolaires publics s’acquittent uniquement des frais d’inscription d’un montant de 6 000 FCFA (9,16 euros). Les élèves affecté-es ou orienté-es dans les établissements scolaires privés s’acquittent des frais d’inscription de 3 000 F CFA (4,58 euros), des frais annexes et des frais complémentaires. Ces frais complémentaires varient de 50 000 F CFA (76,26 euros) à 390 000 F CFA (594,83 euros). 

Cette situation crée une discrimination entre les élèves affecté-es ou orienté-es par l’État dans les établissements privés et celles/ceux affecté-es ou orienté-es par l’État dans les établissements scolaires publics. Les parents qui ne peuvent payer ces sommes voient leurs enfants renvoyé-es des établissements scolaires privés, compromettant ainsi leur droit à l’éducation, puisqu’aucune solution, comme une inscription dans un établissement public moins cher, n’est offerte. Toutefois, l’élève a la possibilité de s’inscrire dans un autre établissement privé.

Le renforcement de la discrimination encouragé par l’État

L’évolution de l’implication de l’État dans la privatisation de l’éducation peut être subdivisée en deux périodes : de l’indépendance à 1992, et de 1992 à 2018.

De l’indépendance (1960) à 1992, l’État a fortement soutenu l’éducation publique, la Côte d’Ivoire faisant figure de modèle éducatif dans la région. À partir de 1992, l’État concède le service public de l’enseignement à des établissements scolaires privés à travers les conventions de 1992 , 1993 . Cette politique éducative a été conduite sous la pression du contexte socio-économique et politique ainsi que des institutions internationales.

L’analyse des textes juridiques nationaux montre que les Conventions de 1992 et 1993 ne reposaient sur aucun cadre règlementaire et législatif lié à la concession du service public de l’éducation à des établissements d’enseignement privé. Le seul texte existant à cette période est le Décret n° 61-140 du 15 avril 1961, portant règlementation de l’enseignement privé en Côte d’Ivoire. Ce Décret ne mentionne nullement la concession du service public de l’enseignement à des établissements scolaires privés.

 Le Décret n° 97-675 du 3 décembre 1997 sur la concession du service public de l’enseignement à des établissements scolaires privés et les trois Conventions signées entre l’État de Côte d’Ivoire, par le ministère de tutelle et les fondateurs des écoles privées, prévoient la prise en charge par l’État des élèves affecté-es ou orienté-es dans les établissements scolaires privés. Notre recherche a relevé que l’État de Côte d’Ivoire a versé en 2021 aux établissements scolaires privés au titre de l’année scolaire 2019-2020 la somme d’environ 82 milliards de F CFA (125 millions d’euros). 

Ce chiffre a été obtenu par déduction. En effet, la ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation a annoncé le 19 avril 2021 à son cabinet le déblocage de 30,9 milliards F 15 CFA pour les fondateurs/trices des écoles privées ivoiriennes afin de couvrir la scolarité des élèves affecté-es par l’État dans leurs établissements.

Selon un fondateur d’établissement privé, ce montant correspond à 73 % de la deuxième et dernière tranche de la scolarité de l’année 2019-2020, soit environ 41 milliards F CFA pour chaque tranche au total ; les tranches ayant le même montant selon ce fondateur. Ces subventions, sans cesse croissantes, sont accordées par l’État aux établissements scolaires privés indépendamment de leur performance.

 

 

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