Rapport national sur le climat et le développement, Groupe de la Banque Mondiale, Octobre 2023

Rapport national sur le climat et le développement, Groupe de la Banque Mondiale, Octobre 2023

Auteurs : Ellysar Baroudy, Markus Kitzmuller et Michel Matera

Site de publication: Ministère de l’Environnement, du Développement Durable et de la Transition écologique 

Type de publication: Rapport 

Date de publication: Octobre 2023

 

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.

 

La Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins. Malgré les progrès accomplis au cours de la dernière décennie, les récents chocs économiques et sanitaires mondiaux ont exacerbé les problèmes existants, notamment le manque de marge de manœuvre budgétaire, l’accès limité aux financements concessionnels et bon marché, et la fragilité du paysage politique. Toutefois, le pays a aujourd’hui l’occasion de faire suivre à sa croissance une trajectoire plus durable, à la fois en répondant aux aspirations d’une population croissante et en s’adaptant mieux aux effets de plus en plus marqués du changement climatique. 

Le présent rapport national sur le climat et le développement (CCDR) montre que les incidences négatives du changement climatique entraîneront une baisse des performances économiques et auront un impact disproportionné sur les populations pauvres.

En premier lieu, le maintien du statu quo ne permettra plus de soutenir la croissance économique de la Côte d’Ivoire et ses ambitions de devenir un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à l’horizon 2030, tout en réduisant considérablement la pauvreté. 

Deuxièmement, des secteurs économiques clés, dont le cacao et l’énergie, courent le risque de connaître des contre-performances si aucune mesure n’est prise maintenant même pour faire face aux impacts climatiques et tirer parti des mutations technologiques ou des changements réglementaires. 

Troisièmement, la Côte d’Ivoire n’est pas actuellement prête à faire face aux conséquences du changement climatique. Sa capacité d’adaptation en est encore à ses balbutiements, ses institutions et sa coordination de l’action en faveur du climat sont fragmentaires, et ses politiques et programmes ne sont pas à la hauteur du défi climatique auquel sont confrontées les populations vulnérables 

Le changement climatique affecte aujourd’hui la Côte d’Ivoire et, si les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter, ses effets s’aggraveront. Les émissions de gaz à effet de serre de la Côte d’Ivoire sont faibles par rapport aux niveaux mondiaux avec 52,33 millions de tonnes de CO2e en 2019, l’agriculture, la sylviculture et les autres modes d’utilisations des terres étant les principaux contributeurs, suivis de l’énergie. L’agriculture est également le principal responsable des émissions de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux.

La Côte d’Ivoire a un programme ambitieux en matière de climat. Sa contribution déterminée au niveau national (CDN) vise à prendre des mesures d’adaptation significatives dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage, des forêts, des ressources en eau, des zones côtières et de la santé humaine. Toutefois, compte tenu du niveau d’action actuel, des ressources disponibles et des dispositifs institutionnels existants pour faire face au changement climatique, le pays aura du mal à atteindre les objectifs de la CDN.

Pour comprendre l’état du cadre institutionnel existant et la capacité à gérer l’adaptation et la résilience en Côte d’Ivoire, la Banque mondiale a réalisé, avec la coopération du Gouvernement, un diagnostic de l’adaptation et de la résilience. Cette action a été coordonnée avec le Plan national d’adaptation élaboré au cours de la même période. Le diagnostic a montré que les capacités du Gouvernement en matière d’adaptation en sont encore à un stade naissant ou émergent, ce qui signifie que, à ce jour, le pays est mal préparé en termes d’adaptation aux impacts du changement climatique. Les principales recommandations portent sur le leadership et l’amélioration de la coordination en matière d’adaptation au climat.

Les priorités en matière de développement et de climat : 

Le secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire est bien développé et doit continuer à se développer rapidement pour permettre la croissance économique. Le pays a déjà renoncé à la production d’électricité à partir du charbon et à l’utilisation du mazout lourd est limitée à une centrale électrique d’urgence.Compte tenu de la croissance rapide de la demande d’électricité, les besoins d’investissement sont importants, si bien qu’il est tout à fait justifié d’investir aujourd’hui dans les énergies renouvelables afin de limiter les besoins en gaz naturel à l’avenir.  

Quatre domaines sont mis en évidence pour garantir des écosystèmes productifs et résistants aux producteurs pratiquant l’agriculture de subsistance grâce à la culture de rente économiquement importante qu’est le cacao : l’arrêt de la dégradation des terres, l’arrêt de la déforestation, la restauration des terres grâce à des pratiques agroforestières pour une production de cacao résiliente et la certification des terres.

Mettre un terme à la dégradation des terres et à l’érosion des sols serait critique. Plus de 10 pour cent des terres de Côte d’Ivoire ont été dégradées entre 2000 et 2010, rythme de dégradation accéléré par la suite. Cette situation a également eu un impact sur la biodiversité. Une meilleure gestion des terres pour l’agriculture de subsistance permettrait de remédier à la baisse de la productivité — un frein majeur à la réduction de la pauvreté en milieu rural — et d’accroître la résilience aux chocs climatiques.

Freiner la déforestation, accroître la production agroforestière de cacao et améliorer encore les perspectives d’exportation du cacao. Le cacao est d’une importance capitale pour l’économie de la Côte d’Ivoire et les moyens de subsistance des populations rurales. Le cacao représente 40 pour cent des recettes d’exportation (2021). Toutefois, il est également important au niveau local ; avec un million de petits producteurs de cacao, il est le moteur de l’économie rurale du Sud. Cependant, l’expansion du cacao s’est faite au prix d’une déforestation massive — la Côte d’Ivoire a perdu plus de 80 pour cent de son couvert forestier depuis les années 1960. 

La déforestation a eu un impact négatif sur la production de cacao, car les cacaoyers bénéficient de l’ombre des autres arbres de la forêt. Elle a également des répercussions sur le microclimat : l’abattage des arbres a un effet de réchauffement sur la terre et les précipitations deviennent moins probables. Le changement climatique déplace déjà les zones de culture du cacao, et la moitié des zones de culture actuellement adaptées ne seront plus viables d’ici à 2050 

 Croissance économique et action climatique 

La Côte d’Ivoire doit opérer un choix décisif afin de déterminer le modèle de croissance à long terme qui lui permettra d’atteindre ses objectifs de développement. Dans la Vision 2030, les autorités ont défini une ambitieuse trajectoire de développement, à savoir : parvenir au statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure à l’horizon 2030, ce qui nécessite des taux de croissance supérieurs à 8 pour cent pendant au moins une autre décennie. Une croissance forte repose sur la viabilité budgétaire et la soutenabilité de la dette, qui dépendent à leur tour de la mobilisation des recettes intérieures, de la gestion responsable de la dette et des réformes économiques structurelles, ainsi que de la politique de la concurrence. 

Le pays dispose d’un potentiel important pour développer des activités à plus forte valeur ajoutée dans l’agro-industrie, l’industrie manufacturière et les services qui peuvent favoriser la transformation structurelle. Les secteurs manufacturiers susceptibles de créer des emplois comprennent le cacao, les fruits et les noix. Malheureusement, la productivité agricole est restée faible parce que le modèle de croissance du pays s’est appuyé sur l’expansion des terres, l’exploitation intensive de la main-d’œuvre et la limitation du recours à la technologie. L’industrie minière étant en plein essor, il existe un fort potentiel de création d’emplois bien rémunérés.

Le changement climatique affecte l’économie ivoirienne principalement par le biais de changements de la productivité de la main-d’œuvre et de l’augmentation des coûts de réparation des immobilisations et de renouvellement du capital. Les incidences des températures moyennes plus élevées sur le stress thermique subi par les travailleurs, la santé humaine et la disponibilité de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement ont tous un impact sur l’économie, principalement par le biais de la productivité de la main-d’œuvre. En revanche, les inondations intérieures, l’élévation du niveau de la mer et l’érosion affectent l’utilisation et la disponibilité des biens d’équipement. Le stress thermique affectera l’apprentissage et pèsera sur l’accumulation de capital humain qui va au-delà de la santé et de la productivité, ce qui aura un impact négatif sur les perspectives de croissance économique à long terme.

L’impact le plus important du changement climatique sur l’économie provient, sans conteste, de son effet sur la productivité de la main-d’œuvre. Globalement, dans le scénario de climat « sec et plus chaud» avec des températures plus élevées, le choc négatif sur la productivité de la main-d’œuvre devrait représenter en moyenne 12 pour cent du PIB d’ici à 2050. On s’attend à ce que le stress thermique subi par les travailleurs fasse baisser la productivité de la main-d’œuvre dans tous les secteurs, principalement dans l’agriculture et l’industrie.

Le secteur agricole sera fortement touché par le changement climatique. Le modèle agricole à forte intensité de main-d’œuvre du pays, marqué par une limitation des dotations en capital et du recours aux technologies, est non seulement inefficace, mais aussi particulièrement vulnérable aux chocs climatiques. Globalement, la réduction de la production de cultures (pluviales) pourrait atteindre 16 pour cent d’ici à 2050. Le riz, la banane plantain et le manioc pourraient connaître la plus forte baisse potentielle, soit 30 pour cent d’ici à 2050 dans le scénario de climat « sec et plus chaud ». La production de cacao, principale culture d’exportation de la Côte d’Ivoire, devrait également connaître une baisse significative de 15 pour cent d’ici à 2050 selon ce même scénario. 

Financement du développement intelligent face au climat

La transition climatique de la Côte d’Ivoire dépend de l’accélération du financement des investissements intelligents face au climat. Ce rapport fait des estimations prudentes selon lesquelles le pays a besoin d’investissements supplémentaires d’au moins 0,2 à 0,4 pour cent du PIB par an entre 2023 et 2050. Il convient de mettre en œuvre sans délai les investissements nécessaires en vue de réduire la vulnérabilité du pays. En ce qui concerne l’atténuation des effets du changement climatique, il se dégage de plus en plus un consensus sur le fait que la taxe carbone peut réduire efficacement les émissions, remplacer les réglementations moins efficaces sur le carbone et rendre l’économie de la Côte d’Ivoire plus efficace. Si elle est bien conçue, une taxe carbone aurait des retombées macroéconomiques et distributives positives et permettrait de réduire les dommages causés à l’environnement. Par exemple, les taxes peuvent être conçues pour favoriser la production durable de cacao qui ne cause pas de déforestation ou n’en résulte pas. 

La Côte d’Ivoire a le potentiel de devenir un leader régional dans le domaine du financement durable, en recourant à des obligations thématiques. En 2021, le Gouvernement de Côte d’Ivoire a élaboré un cadre pour le développement de telles obligations. Au cours de la même année, un promoteur immobilier ivoirien est devenu le premier émetteur de la région à procéder à l’émission d’une obligation verte soutenue par ce cadre.

La Côte d’Ivoire est considérée comme un pays prometteur en ce qui concerne le développement d’initiatives de marché du carbone qui pourraient canaliser le financement en faveur du climat. Le pays a acquis de l’expérience grâce à plusieurs projets éligibles au Mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto ainsi qu’aux activités du projet REDD+. Le pays a mis en place un Groupe de travail en octobre 2022 et a organisé un atelier sur les dispositifs institutionnels et la réglementation en juillet 2023, afin de rendre rapidement opérationnel l’Article 6 de l’Accord de Paris.

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