Auteur : Interpeace
Site de publication : Interpeace
Type de publication : Rapport
Date de publication : Décembre 2023
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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Une insécurité économique et alimentaire variables à l’échelle du territoire
Une grande partie des populations interrogées au cours du processus de recherche estime ne pas être en capacité financière de satisfaire ses besoins en termes d’accès aux services sociaux de base12. Le risque perçu d’insécurité économique et alimentaire est particulièrement préoccupant : 59% des répondants estiment qu’ils n’ont pas un revenu stable et suffisant pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Autre indication, 40% affirment qu’ils ne sont pas capables de fournir assez de nourriture à tous les membres du ménage, 63% des ménages peuvent fournir trois repas par jour aux leurs et 26% considèrent qu’ils n’ont pas assez d’argent pour acheter à manger. Le district du Zanzan couronné par les deux grandes régions, notamment le Bounkani et le Gontougo, fait face à niveau de sécurité économique et alimentaire bas.
Les liens entre sécurité physique et accès aux services essentiels
Les deux principales raisons évoquées par les citoyens pour expliquer l’insuffisance de l’offre de services publics sont : (1) les politiques publiques, centralisées à Abidjan et à Yamoussoukro, ont pour effet de délaisser les zones périphériques ; et (2) les crises internes dans les luttes de pouvoir affaiblissent les capacités d’actions collectives et génèrent une faiblesse structurelle des services publiques.
Le sentiment d’insécurité physique est particulièrement associé à la confiance dans les institutions et à l’accès aux services essentiels. Statistiquement, le niveau de sécurité physique diminue avec le manque d’accès à la justice, aux services de santé et à l’éducation. Les contextes caractérisés par une méfiance à l’égard des institutions et un manque d’infrastructures sont ceux dans lesquels les citoyens se sentent le plus en danger. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, les populations ont, de façon massive, peur d’être victimes d’incidents violents. Alors que les efforts sont faits par les autorités pour assurer leur sécurité, elles ont le sentiment que les offres de sécurité sont concentrées dans les grandes agglomérations.
De la sécurité physique à la sécurité politique
Les niveaux de sécurité politique et de sécurité physique sont liés. En effet, parce qu’ils influencent les attitudes civiques individuelles et le niveau de cohésion sociale au sein des communautés, ils jouent un rôle indirect dans le développement de comportements violents lors des périodes électorales.
La peur associée à l’exercice des droits politiques contraint l’engagement citoyen des individus et leur participation électorale : plus d’un répondant sur quatre dit ne pas pouvoir du tout dire publiquement ce qu’il pense de la politique, sans être menacé d’être inquiété. Ce phénomène est plus accentué à Gôh-Djiboua, Yamoussoukro et Zanzan où ils sont respectivement 37%, 33% et 32% à déclarer cet état de contrainte. C’est à Gôh-Djiboua que le niveau de sécurité politique est le plus faible. Les répondants sont par exemple 22% à affirmer qu’ils ne peuvent pas du tout choisir librement leur candidat sans être sous la pression d’un leader (politique, communautaire ou religieux).
Crise de la représentativité
Le manque de confiance envers les institutions est en général associé au sentiment du manque de représentativité des élus locaux. Ces deux dimensions – auxquelles s’ajoutent l’idée d’un niveau de corruption élevé – illustrent ce qu’il est commun d’appeler une « crise de la représentation ».
La conjonction de ces trois phénomènes – manque de représentativité des élus, confiance dans les institutions indexée à l’affiliation politique et sentiment de corruption – traduit un dysfonctionnement institutionnel dangereux pour la cohésion sociale. Le relatif déficit de légitimité dont souffrent les élus, associé à la critique du fonctionnement institutionnel, reflète une crise de la représentativité.
La figure 5 fait apparaitre des résultats mitigés : le score le plus élevé « culmine » à 5.43 (sur 10), signifiant que « dans le meilleur des cas » seulement un peu plus de la moitié de la population a une opinion favorable de ses élus politiques. Il est d’autant plus préoccupant que de fortes disparités géographiques sont observées puisque le plus faible score enregistré est de 2.6 (la région de Bounkani dans le district de Zanzan). Les ressentiments à l’égard des élus locaux suspectés de favoriser la distribution des ressources à un groupe particulier, et faisant profiter certains des fruits de la croissance au détriment des autres, génèrent des formes de défiance entre les groupes et nuisent à la bonne entente.
Près de trois répondants sur cinq pensent que les élections présidentielles en Côte d’Ivoire sont truquées et sujettes à des fraudes. Le manque de crédibilité du processus électoral traduit une crise des instances démocratiques et complique les situations de transition de pouvoir politique. Les niveaux élevés de méfiance à l’égard de la CEI et de la légitimité des résultats électoraux en général sont problématiques : 59% des répondants pensent que le parti au pouvoir réussit toujours à se débrouiller pour gagner une élection – autrement dit là encore trois citoyens sur cinq pensent que le parti au pouvoir ne peut pas perdre.
Ce type de perception devient particulièrement menaçant dès lors qu’une catégorie particulière de la population (les partisans des partis de l’opposition) se montre extrêmement critique à l’égard du processus électoral. Au total, 82% des partisans du PPA-CI estiment que les élections présidentielles en Côte d’Ivoire sont truquées et sujettes à des fraudes. Cette tendance révèle une dynamique de polarisation de la demande politique qui, conséquemment, fragilise les relations intergroupes au sein des localités et menacent la cohésion sociale.
Des pesanteurs culturelles : les inégalités de genre et les violences basées sur le genre
Les inégalités de genre sont une manifestation supplémentaire du manque de cohésion entre les groupes sociaux. De manière générale, la fragilité structurelle de la communauté s’exprime par son caractère « divisé ». L’acceptabilité sociale des inégalités de genre est une autre forme de manifestation du manque de cohésion entre les groupes sociaux. Il est vrai qu’une grande partie de la population considère que les femmes doivent être mobiles socialement : elles doivent pouvoir accéder à l’éducation, au marché du travail ainsi qu’à des postes prestigieux et à responsabilité.
Par contre, il est à remarquer que la question de l’héritage laisse apparaître des résistances à l’égalité d’accès aux ressources et au partage juste entre les genres : un répondant sur cinq considère que les garçons et les hommes doivent avoir la priorité lorsqu’il s’agit de partager les biens de la famille lors d’un héritage. C’est dans le district de Zanzan (notamment dans la région du Bounkani) que l’égalité des genres est la plus remise en question.
La violence directe contre les femmes est largement critiquée, cependant certains répondants ont un discours qui tend à légitimer les violences domestiques par le biais d’excuses et de prétextes, comme lorsqu’il s’agit de maintenir l’unité de la famille. De plus, il est à noter que la violence domestique est le type de violence le plus fréquent dans les districts étudiés (voir section II de ce chapitre). Les questions de VSBG devraient particulièrement être observées dans le district des Lacs : dans les régions de Nzi et Iffou, celles-ci sont « deux fois plus acceptées » que dans le reste du pays.
Cette tolérance face aux VSBG apparait comme un moteur de la violence politique. Cette relation témoigne d’une linéarité entre deux formes de violence spécifique : violence envers les femmes et violence politique sont connectées. La réduction de l’acceptabilité sociale des violences envers les femmes devient un levier pour agir sur la violence politique. En ce sens, de nombreuses études tendent à défendre l’idée selon laquelle violence envers les femmes et instabilité de la société vont de pair.
Le district de Yamoussoukro : un espace propice à la contestation des résultats électoraux
A l’inverse de la plupart des districts ivoiriens comprenant des régions, le district autonome de Yamoussoukro situé au centre du pays est composé essentiellement de deux départements respectifs, Attiegouakro et Yamoussoukro. Selon les données du Recensement général de la population et de l’habitat (2014), sa population est estimée à 355 573 habitants , principalement concentrée dans et autour de l’agglomération de la capitale.
Trois phénomènes sont à surveiller dans le district de Yamoussoukro :
- Il existe une importante « tendance à la contestation électorale ». Plus qu’ailleurs, les citoyens de Yamoussoukro auraient du mal à accepter la défaite électorale. En effet, 10% de la population refuseraient de se plier aux résultats et auraient tendance à considérer le gagnant comme illégitime (contre 5% des répondants en moyenne) et 3% participeraient à des protestations violentes pour remettre en cause le verdict (contre 1,6% en moyenne). En d’autres termes, il y a en moyenne deux fois plus de répondants susceptibles de contester l’élection en cas de défaite à Yamoussoukro qu’ailleurs. « Dans la ville natale du feu Houphouët Boigny, je ne peux pas accepter que le représentant du RDR soit maire à Yamoussoukro. On préfère quelqu’un qui ne fait rien que quelqu’un qui n’est pas de même ethnie que nous ».
- Un autre phénomène est à surveiller dans ce district : la « tendance individuelle conflictuelle » (ou comportement belliqueux). Celle-ci est particulièrement cruciale car elle joue le rôle de nœud dans la structuration de la TVP et assure l’articulation entre le manque de cohésion sociale dans une localité et le développement de comportements individuels propices à la polarisation et à la radicalisation.
- En termes de dynamiques contextuelles favorisant une fragilisation du contexte de ce district, l’analyse a révélé l’existence d’une faiblesse de la confiance dans les institutions : phénomène potentiellement disruptif pour la stabilité des interactions entre les groupes sociaux du district.
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