Auteur : Konan STANISLAS KOUASSI
Site de publication : ASJP
Type de publication : Article
Date de publication : Décembre 2021
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Le système éducatif ivoirien connaît de nombreuses difficultés qui ont amené les décideurs à initier des réformes pédagogiques et à adopter des lois éducatives. L’objectif poursuivi est celui d’optimiser la performance du système éducatif. Ainsi, le pays est successivement passé de l’enseignement traditionnel hérité de la colonisation (1882-1963) aux approches par compétences depuis l’année scolaire 2002-2003 en passant par l’enseignement rénové (de 1963 à 1970), le Programme d’Éducation Télévisuelle (de 1971 à 1982) et les programmes de souveraineté (1982-2002).
Le pays a également adopté les lois éducatives n°77-584 du 18 août 1977 portant réforme de l’enseignement, n°95-696 du 7 septembre 1995 relative à l’enseignement et n°2015-635 du 17 septembre 2015 instituant l’école obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans. En dépit de ces engagements, les taux de scolarisation et d’achèvement reste relativement faibles. Le rapport publié, en 2011, par la Banque Mondiale, l’État de Côte d’Ivoire et l’Initiative Fast Track, a montré que seulement 33% des élèves inscrits dans le cycle primaire ont accès au secondaire, 25% parviennent en classe de 3e , 13% atteignent la classe de seconde et 10% accèdent à la classe de terminale ; et que l’espérance de vie scolaire est de 5,5 ans.
Face à cet état de fait constaté quelques décennies plus tôt, les chercheurs ivoiriens, s’appuyant sur les résultats d’études effectuées dans divers pays du monde ayant montré que l’utilisation des langues primaires des élèves, au moins pendant les premières années de l’enseignement, facilitait considérablement l’apprentissage, ont initié diverses expériences. Il s’agit de projets de préscolarisation en langues nationales d’enfants de 5 à 7 ans, fruit de la collaboration entre l’Institut de Linguistique Appliquée (ILA), l’Institut de Recherches Mathématiques (l’IRMA), l’institut de de biologie et celui de pharmacie.
Au cours de ces projets les langues maternelles ou premières servent de médium d’enseignement jusqu’à la fin du CP2. C’est à partir de la classe de CE1 que le français parlé puis écrit est progressivement introduit comme matière d’enseignement jusqu’à la fin du CE1 pour finalement devenir la langue d’enseignement à partir du CE2.
les langues locales, par ailleurs, les langues premières des élèves du milieu rural sont toujours maintenues en marge du système éducatif alors qu’il est prouvé que leur utilisation dans le système éducatif officiel est un facteur de succès des apprentissages. Cela contrairement au système éducatif axé sur un monolinguisme de principe dont les résultats sont peu reluisants. En effet, selon le rapport 2019 du programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN, 66,9% des élèves de Côte d’Ivoire ne disposent pas des compétences leur permettant de poursuivre sans difficultés leurs apprentissages.
En plus, 59,5% des élèves du pays ne manifestent pas les compétences suffisantes de lecture. Au niveau des mathématiques, le PASEC 2019 relève que 42,1% des élèves connaissent de très grandes difficultés en mathématiques pouvant les exposer au décrochage scolaire. Cette situation tient au fait que les écoliers débutent leur scolarisation sans aucune référence à leur langue maternelle et que le contenu de l’enseignement ne correspond pas aux réalités socioculturelles des élèves.
Le système éducatif n’est donc pas performant quoique le pays a fait de ce secteur l’une de ses priorités en lui accordant une part importante de son budget. Cette part des dépenses publiques de l’état a connu une baisse substantielle du fait des contingences économiques. Elle est respectivement passé de 44% au cours des années 60 et 70 à 36% en 1990, 25% en 2007 et 21.5% en 2016. Néanmoins, cette baisse ne saurait expliquer la faiblesse du rendement scolaire des élèves de Côte d’Ivoire. Visiblement, les réformes initiées semblent avoir toutes échoué. Il convient alors de trouver des stratégies nouvelles applicables.
De l’unité culturelle et linguistique des régions de Côte d’Ivoire
Selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014, une proportion de 11.262.918, soit 49,7% de la population ivoirienne vit en milieu rural. On peut ajouter à ces populations celles des quartiers défavorisés dans les grandes villes au sein desquels on dénombre de nombreux enfants qui ont pour principal langue de socialisation celle d’origine de leurs parents.
À ces enfants dont le profil sociolinguistique est semblable à celui de leurs pairs des milieux ruraux, on peut valablement ouvrir des écoles bilingues où l’enseignement sera conduit dans leurs langues premières avant d’introduire progressivement la langue française. Une telle démarche permettrait assurément de juguler les difficultés de compréhension induites par l’usage d’une langue dans laquelle les apprenants ne développent une compétence suffisante.
Cette stratégie peut permettre de faire un bond qualitatif étant donné que DSPS, dans son rapport de 2018, précise que 66% des écoles primaires sont implantées en milieu rural et que celles-ci accueillent 55% des élèves de ce cycle. A ces réalités s’ajoutent celle relative à l’unité linguistique et culturelle des régions. En effet, lorsqu’on porte un regard sur la structure démographique de la plupart des régions du pays on s’aperçoit d’une certaine homogénéité de la population, par référence à sa composition ethnique.
C’est le cas dans les régions du nord, du centre, de l’est et du nord-ouest où cohabitent tout au plus deux langues. La situation est la même dans une vingtaine de régions où on relève, au regard des données démolinguistiques, un assez faible niveau d’hétérogénéité linguistique en milieu rural. C’est le cas dans les régions du Poro (Korhogo), du Tchologo (Ferkessédougou), de la Bagoué (Boundiali), le Hambol (Katiola), par exemple, on relève l’usage quasi exclusif de divers dialectes sénoufo. Le constat est le même au niveau des régions du Béré (Mankono), du Bafing (Touba), du Worodogou (Séguéla), du Folon (Minignan), du Kabadougou (Odienné) où le malinké est la principale langue de communication dans les villages.
La géographie linguistique du pays peut donc être mise à profit dans le choix des langues nationales à promouvoir dans le système éducatif. C’est au niveau des régions des zones forestières qui représentent 48,2% de la superficie totale du pays que des difficultés peuvent subvenir. Cela dans la mesure où le brassage culturel est très important. Ces régions habitées par 17.107.331 habitants, soit 75,5 % de la population totale ivoirienne, selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2014, sont des zones de métissages culturels. Dans certaines de ces régions, les populations autochtones sont minoritaires du fait de l’important exode lié à des enjeux socio-économiques.
De la possibilité de régionaliser partiellement l’école ivoirienne
Il existe en Côte d’Ivoire des centres de formation et d’aptitudes pédagogiques répartis sur l’ensemble du territoire. On note, en effet, la création d’un CAFOP dans chaque grande région du pays qui s’inscrit dans la droite ligne de la politique de décentralisation. Le pays compte à ce jour 16 CAFOP répartis de la façon suivante : cinq (05) dans le sud-ouest basés à Aboisso, Bassam, Abidjan, Dabou et de San-Pedro (2015) qui a ouvert ses portes à la rentrée scolaire 2015-2016 ; quatre (04) au centre du pays. On a l’ENI Bouaké ouvert en 1969, le CAFOP 2 de Bouaké ouvert en (), Yamoussoukro (1979) et Katiola ; un (01) à l’est précisément à Abengourou ; 3 dans le centre ouest basés dans les villes de Daloa, Gagnoa et Man ; 3 dans la partie nord de la Côte d’Ivoire implantés à Bondoukou (2015), Korhogo, Odienné.
Lorsqu’on porte un regard sur les zones d’implantation des CAFOP, on s’aperçoit de ce qu’ils peuvent servir de terreaux fertiles à une politique éducative à l’échelle de la région. Pour la réussite d’une telle politique, ces centres et à travers eux, les régions doivent bénéficier de l’expertise de linguistes en vue de les accompagner dans la formation initiale et continue des enseignants ainsi que du personnel administratif d’encadrement (conseillers pédagogiques et inspecteurs de l’enseignement primaire).
Ainsi, en fonction des régions on pourrait les initier concurremment à la linguistique africaine, à la linguistique contrastive et à la linguistique française afin de les préparer à amorcer dans de meilleures conditions un système d’éducation bilingue axé sur la ou les langues locales des régions d’implantation des CAFOP. Cela peut se faire d’autant plus que les collectivités territoriales régionales sont dotées d’une personnalité morale et d’une autonomie financière.
Aussi, étant donné que celles-ci sont autorisées, aux termes de l’article 49 de l’ordonnance n° 2011-262 du 28 septembre 2011 portant orientation de l’organisation générale de l’administration territoriale de l’État, à passer des conventions de coopération décentralisée avec d’autres collectivités territoriales, des organisations publiques ou privées, étrangères ou internationales dans un cadre général défini par l’État.
La promotion des langues locales dans le système à l’échelle des régions d’améliorer la performance du système éducatif au sein duquel est en vigueur une démarche éducative (l’APC) qui prône une participation active de l’apprenant dans la construction du savoir. Elle permettra également de sortir du monolinguisme institutionnel actuel qui tend à compromettre le succès de la mise en œuvre de l’APC.
Mieux, la promotion des langues locales dans le système éducatif par le truchement de l’administration décentralisée aidera à juguler les divergences observées au niveau des interactions verbales en classe et du niveau de participation à la construction du savoir entre les apprenants du milieu rural et ceux de leurs pairs en milieu urbain. Cette différence majeure due à la non maîtrise du français par les apprenants du milieu rural s’explique par les difficultés d’expression en français que rencontrent les premiers.
L’utilisation de leurs langues premières leur permettra d’être plus actifs pendant les activités d’enseignement-apprentissage. Elle les aidera à prendre des initiatives au lieu d’attendre d’être interrogés par l’enseignant qui en l’état actuel des choses est celui-là même qui intervient le plus et qui passe beaucoup plus de temps à se faire comprendre.
Cet état de fait impacte considérablement sur la durée des séances de cours en milieu rural et surtout sur le déroulement en général des activités d’enseignement. En définitive, la promotion des langues locales dans le système éducatif ivoirien par le truchement des régions aidera les apprenants, et particulièrement ceux du milieu rural à tenir pleinement le rôle qui est le leur comme le recommande l’APC, la démarche éducative en vigueur ; ce qui favorisera leur développement psycho-affectif et intellectuel.
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