La reconstruction Post conflit en Côte d’Ivoire et la quête de la « Paix Positive », Université Alger 3, 16 Juin 2023

La reconstruction Post conflit en Côte d’Ivoire et la quête de la « Paix Positive », Université Alger 3, 16 Juin 2023

Auteur : TOUATIT Lotfi 

Site de publication : ASJP  

Type de publication : Article  

Date de publication : 16 juin 2023

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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

INTRODUCTION 

L’irénologie est ce champ de recherche né en Occident durant les années 1960, sous l’impulsion du norvégien John Galtung, avec pour objet de recherche les causes profondes de la violence. Cette « science de la paix », connue également sous le label Peace Studies, propose de transcender la conception traditionnelle de la violence (et de la guerre), où l’on accorde une grande importance aux manifestations physiques du phénomène, pour orienter la recherche sur d’autres aspects moins visibles mais qui restent décisifs. 

Cette approche qui s’inscrit dans une perspective politique et psychosociologique, propose de préparer l’avenir en agissant sur l’origine multiple de la conflictualité, sans négliger les aspects non-physiques de cette dernière (discursifs, symboliques, etc.). 

C’est aussi une approche qui transcende le paradigme réaliste en se présentant comme un « guide pour l’action », avec pour point de départ de comprendre les mécanismes régissant la violence, et pour finalité, de prodiguer un remède. Les organisations internationales se sont saisi de cette philosophie et on procéda même à son intégration dans les discours et pratiques onusiennes, même si un net décalage est parfois constaté entre objectifs déclarés et réalisations.

Agir sur les sources profondes de la conflictualité : le prisme galtunien

Le concept de « paix positive », fait partie de la « jungle conceptuelle » proposée par John Gatung dans sa théorie de la transformation des conflits, s’inscrivant dans une perspective poststructuraliste. Il découle d’un regard critique porté sur la genèse et les implications des conflits et se présente comme un dépassement de la conception traditionnelle de la violence.  

Ainsi, il n’est plus question de se limiter aux aspects purement physiques de cette dernière, les relations sociales étant également minées par d’autres formes de violence moins visibles, plus subtiles, mais tout aussi destructrices qui se dressent entre les groupes et les objectifs qu’ils tentent de réaliser (cas de la marginalisation et de l’exploitation).

Pour Galtung, la « paix positive » renvoie à toutes les « bonnes choses dans la communauté mondiale, en particulier la coopération et l’intégration entre les groupes humains, en mettant moins l’accent sur l’absence de violence ». Le processus de construction de la paix ne se limite donc pas à faire taire les armes, puisqu’il va au-delà, vers la création d’une dynamique de coopération entre acteurs (anciens belligérants), en vue d’endiguer la conflictualité en amont. Il est ainsi question d’une approche proactive, appelant à agir sur les rivalités naissantes « qui se poursuivent en temps de paix […] par d’autres moyens »

L’enjeu du monopole de la violence légitime

De manière générale, ce qui fut connu comme étant la crise politico-militaire ivoirienne à partir des années 2000, n’est en fait que l’ultime épisode d’une crise politique plus générale, ayant pour cause profonde l’absence d’un projet de société consensuel qui réunirait le « pays des 60 ethnies », en raison d’un pouvoir clientéliste affidé à l’ancienne métropole. Ainsi, le pays fut, d’une part, prisonnier d’une relation de dépendance accrue envers la France, et d’autre part, fragilisé par des clivages politiques internes nés entre deux blocs régionaux : l’un relativement prospère (Est/Centre), l’autre défavorisé (Nord/Ouest).

Le paysage politique ivoirien sera le résultat des alliances de conjoncture, tissées entre les représentants des différents groupes ethniques. Ainsi, durant les années quatre-vingt, l’opposition fut dominée par les laissés-pour-compte de la jeune « République cacaoyère » qui étaient alors les Krous de l’Ouest et les ethnies sahéliennes (Mandés, Sénoufos, Dioulas, etc.). Or, depuis l’accession au pouvoir du Bété Laurent Gbagbo en 2000, représentant du Grand Ouest, une nouvelle alliance fut conclue entre la bourgeoisie Akan (de l’Est) et les ethnies du Nord désormais sous le leadership d’Alassane Ouattara, ancien cadre du FMI. 

 

Les luttes autour du pouvoir, ainsi que l’hostilité ouvertement assumée des Bétés à l’égard de la présence étrangère, notamment celle française, vont conduire le pays à une impasse politique qui précipitera la Côte d’Ivoire dans la guerre civile. La tentative de coup d’État ratée en 2002, organisée depuis le Burkina-Faso, sera le déclencheur d’une instabilité durable, de tensions politiques, de votes ouvertement communautaires et d’ingérences étrangères qui gagneront en intensité, notamment à l’approche des rendez-vous électoraux.

En Côte d’Ivoire, les différents Gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis 2011, furent contraints à négocier avec une multitude d’acteurs le monopole que l’État était censé détenir en matière de violence légitime.

Il y avait, d’abord, les contingents internationaux présents en vertu d’accords de défense et de résolutions onusiennes (qui ne représentaient pas de menaces en soi), ensuite, les différentes organisations criminelles et bandes de quartiers, toujours liées à certains cercles du pouvoir, et pour finir, les milices qui constituent l’héritage encombrant d’une décennie de guerre civile. Ces dernières bénéficient parfois de présence quasi-officielle, avec tout ce que ceci implique en termes d’effets pervers sur la vie sociale et l’évolution de la dynamique de reconstruction.

Le continuum vérité, justice et réconciliation dans une société en transition

Le processus de Justice Transitionnelle a pour objectifs communs d’assurer le « droit à la justice », le « droit à la vérité », le « droit aux réparations », mais aussi le « droit aux réformes », qui auront pour finalité de guérir les maux profonds dont souffrent les sociétés post conflit, suivant une logique d’abord « curative » et ensuite « proactive ». Ainsi, au bout du processus, l’idéal est d’atteindre une résilience sociétale, cette faculté permettant aux sociétés d’apprendre de leurs échecs, de se remettre des chocs, de renforcer leurs capacités de résistance, tout en développant les capacités leur permettant de se prémunir de pareilles situations.

Suite au procès controversé de l’ex-président Gbagbo à la CPI, on assistera à une prise en charge locale de la justice post-conflit, un choix motivé par plusieurs facteurs. Officiellement, la raison invoquée fut la capacité des Ivoiriens à prendre le relai, pour s’acquitter de cette mission, en vertu des pouvoirs régaliens et légitimes de ceux qui gouvernent, mais aussi de la subsidiarité régissant la relation entre la CPI et la justice ivoirienne. 

À cela s’ajoute aussi le fait que cette Cour a clairement fait comprendre à l’opinion internationale qu’elle ne comptait plus engager d’autres poursuites concernant le cas ivoirien (ou n’était plus en mesure de le faire), faute de moyens financiers, ce qui est évidemment discutable.

la dynamique de réconciliation sera contrariée par la méfiance d’une classe politique en quête de stabilité (et de sécurisation des gains matériels et symboliques), mais le manque de volonté politique ne peut à lui seul expliquer l’évolution dramatique de la dite dynamique. En effet, les chances des Ivoiriens de mettre sur pied une société tolérante et pacifique furent également compromises par l’absence de « gestion créative » du conflit, une gestion qui exige certes des moyens non-violents, mais plus important encore, de l’innovation.

Au-delà de la redistribution des ressources physiques : l’enjeu des ressources symboliques 

Au cœur de sa pensée, Galtung propose de transcender la conflictualité par un changement social inclusif et durable, s’appuyant sur l’empathie, la non-violence et la créativité. Ainsi, il met de côté la question de la culpabilité, tout en privilégiant celle de l’inclusivité, suivant une logique d’avenir partagé, mais qui ne néglige pas l’action sur les causes profondes des conflits. Pour cet auteur, le plus important est d’éviter un « naufrage sociétal » lourd de conséquences.

La crise politico-sécuritaire ivoirienne peut justement s’apparenter à ce type de « naufrages », un bouleversement qui a mis sur les routes des milliers de déplacés internes et qui risque de se répéter périodiquement, si les Ivoiriens n’arrivent toujours pas à gérer leurs contradictions sans violence. Ces dernières concernent d’abord l’élément matériel, lié à la question du foncier rural, étant donné que le cacao demeure la première source de richesse du pays, mais l’élément symbolique a également son importance, car il demeure étroitement lié aux questions de l’identité et de la stratification sociale, dans une société profondément traditionalistes.

Le principal enjeu de la dynamique de reconstruction en Côte d’Ivoire était d’encourager les Ivoiriens à avancer dans la voie de l’assainissement des stigmates du passé, celle d’une transformation durable qui agirait sur les causes profondes de la violence. En d’autres termes, transférer la violence de la rue vers l’arène politique, pour pouvoir ensuite la transformer en une concurrence saine, afin d’entamer sereinement le processus de guérison (individuel et collectif) nécessaire à toutes les sociétés en de pareilles situations.

 

 

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