Tadandja Sara
L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, prévue en octobre 2020 est au cœur du débat politique en Côte d’Ivoire. Ce regain d’intérêt est dû en partie à la reconfiguration de la classe politique ivoirienne amorcée depuis plus de deux ans et qui a accru la compétition autour du choix du remplaçant d’Alassane Ouattara. Cette reconfiguration semble remettre en scène les principaux acteurs politiques de l’élection de 2010 qui s’était soldée par une crise post-électorale avec un bilan de plus de 3 000 morts selon les rapports officiels.
Au-delà de l’influence plus ou moins grande des trois grandes figures de la classe politique ivoirienne de ces 25 dernières années, à savoir Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, il faudra également compter sur l’arrivée de nouvelles figures dont le poids électoral n’est pas encore connu, mais dont la présence sur la scène politique va accroître l’intérêt pour l’élection présidentielles de 2020 . A la différence de l’élection présidentielle de 2010, il faudra aussi compter avec les réseaux sociaux qui ont pris une part importante dans l’animation du débat politique en Côte d’Ivoire.
Une digitalisation à deux niveaux du débat politique à travers les réseaux sociaux
La course à l’usage des technologies de l’information et de la communication à travers les médias sociaux pour animer le débat politique en Côte d’Ivoire se situe à deux niveaux. Le premier niveau est celui de l’élite politique qui englobe les partis politiques et regroupements de partis politiques et leurs leaders. La quasi-totalité des grands mouvements politiques de Côte d’Ivoire dispose d’un service de communication dont les réseaux sociaux occupent une part prépondérante de leurs activités.
Facebook constitue la plateforme sans doute la plus utilisée. On retrouve ces acteurs à travers l’animation d’une page Facebook de leur formation politique, d’une Web TV ou des pages personnelles des leaders politiques. Au quotidien, ces plateformes partagent les activités de leurs formations politiques respectives et donnent la parole aux leaders. Une forme de solidarité est née entre les services de communication des partis politiques qui se sont rapprochés au gré de la nouvelle configuration de la classe politique ivoirienne, ce qui permet d’atteindre une audience plus large.
L’avantage du recours à cette communication digitale, basée essentiellement sur les réseaux sociaux est de pouvoir s’offrir une tribune à travers laquelle ils communiquent sur les actions de leurs formations politiques dans la mesure où les médias classiques et médias d’Etat sont plus difficilement accessibles pour ces partis politiques de l’opposition et peu suivis par les citoyens
Il est donc fréquent de voir les pages officielles et Web TV du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, du Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, de Générations peuples solidaires de Guillaume Soro ou du LIDER de Mamadou Koulibaly, partager réciproquement leurs publications. L’avantage du recours à cette communication digitale, basée essentiellement sur les réseaux sociaux est de pouvoir s’offrir une tribune à travers laquelle ils communiquent sur les actions de leurs formations politiques dans la mesure où les médias classiques et médias d’Etat sont plus difficilement accessibles pour ces partis politiques de l’opposition et peu suivis par les citoyens. Elle permet de faire varier les informations et animer le débat politique, ce qui est probablement un plus pour le processus démocratique.
Le deuxième niveau de la digitalisation du débat politique est l’interaction avec le citoyen et militant ordinaire. C’est à ce niveau que la contribution des réseaux sociaux à la « libéralisation » du débat politique se fait le plus sentir. Ils sont nombreux, et de tous bords politiques, à participer à l’animation du débat politique en Côte d’Ivoire derrière leurs petits écrans, à travers des Lives Facebook. Les formes de ces contributions sont très variées et l’usage d’un langage populaire leur permet de faire passer le message au plus grand nombre de personnes.
La digitalisation du débat politique à travers les réseaux sociaux a une fonction de dépassement des barrières entre élites politiques et militants de base et de créer des interactions plus fréquentes entre les deux niveaux, dans un contexte africain où, la liberté d’expression politique demeure un défi
Les plus populaires rassemblent des milliers de followers dans leur Live Facebook qui durent parfois plus de deux heures. Ils ont cette capacité d’aller chercher des archives et d’autres sources pour soutenir leur raisonnement et défendre leurs formations politiques. Ce « cybermilitantisme » a permis à certains de gagner une notoriété au sein de leur formation politique et de se rapprocher des leaders, ce qui était plus difficile dans l’activisme politique classique.
La quasi-totalité des grands mouvements politiques de Côte d’Ivoire dispose d’un service de communication dont les réseaux sociaux occupent une part prépondérante de leurs activités
La digitalisation du débat politique à travers les réseaux sociaux a une fonction de dépassement des barrières entre élites politiques et militants de base et de créer des interactions plus fréquentes entre les deux niveaux, dans un contexte africain où, la liberté d’expression politique demeure un défi. Mais cette nouvelle forme de participation à la vie politique n’échappe pas aux phénomènes habituels de la vie politique en Afrique. Le « cybermilitantisme » ne se dérobe pas au phénomène de « transhumance politique ». Au fur à mesure qu’ils se construisent une notoriété digitale, ils sont courtisés par les autres formations politiques.
Le recours aux réseaux sociaux : une nécessité dans un monde plus connecté et un moyen d’échapper aux restrictions de liberté d’expression
Les organisations de défense de droits de l’Homme s’accordent sur le constat d’un recul des libertés individuelles en Côte d’Ivoire ; processus qui s’est accentué depuis la dislocation de la majorité qui a porté l’actuel président Alassane Ouattara au pouvoir en 2010 et en 2015. La rupture entre le parti présidentiel et le PDCI-RDA, suivi du départ de plusieurs cadres de cette majorité à savoir Guillaume Soro, Marcel Amon Tanon, Mabri Toikeuse à l’approche de l’élection présidentielle de 2020 a accru la compétition dans la classe politique ivoirienne. Les médias classiques, surtout ceux d’Etat, étant restés difficilement accessibles à ces partis d’opposition, ils ont trouvé dans les médias sociaux une tribune pour s’exprimer.
Le recours à ces médias sociaux, qui n’est pas une exclusivité des opposants car utilisés par les partisans du pouvoir également, s’explique aussi par un taux de pénétration d’internet très élevé en Côte d’Ivoire. En 2018, la part de la population ivoirienne connectée à internet était de 26,3%, soit plus de 6 millions de personnes. Parmi ces personnes connectées, 4,3 millions possédaient un compte Facebook, ce qui fait de ce réseau social la plateforme la plus utilisée.
Ceci permet de comprendre qu’elle soit sollicitée par les services de communication des partis politiques et par les militants ordinaires. Cette tribune permet d’atteindre les Ivoiriens aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Les Ivoiriens de l’extérieur représentent plus d’un million de personne à travers le monde et, comme beaucoup de diasporas africaines, souhaitent se faire entendre dans le débat politique nationale. Le recours aux réseaux sociaux leur permet d’être écoutés et de suivre leurs compatriotes où qu’ils se trouvent dans le monde à faible coût.
La digitalisation du débat politique demeure un défi pour la classe politique
L’importance croissante des médias sociaux dans le débat politique en Côte d’Ivoire, malgré ses avantages, constitue un défi pour la classe politique ivoirienne. N’étant pas des professionnelles de la communication, les « cybermilitants » ne font pas le travail de vérification de l’information journalistique avant la diffusion dans leur communication. Ils ne disposent pas de la protection juridique de la presse.
Le gouvernement a davantage restreint la liberté d’expression à travers la pénalisation de la diffusion des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, ce qui offre une brèche pour la restriction de la liberté d’expression digitale. Au sein du territoire national, cette pénalisation et l’arrestation de certains « cybermilitants » font planer une menace sur le « cybermilitantisme ». Reste l’espace de liberté qu’offrent les pays d’accueil des « cybermilitants » de la diaspora. Cependant, gouvernement aurait pris des initiatives avec la France afin de poursuivre les diffuseurs de fake news.
Le gouvernement a davantage restreint la liberté d’expression à travers la pénalisation de la diffusion des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, ce qui offre une brèche pour la restriction de la liberté d’expression digitale
Le ministre en charge de la Sécurité Vagondo Diomandé a informé le Sénat, lors d’une séance parlementaire le 15 mai 2020, de l’existence d’une collaboration entre les services de sécurité ivoiriens et leur équivalent français afin de poursuivre ceux qui diffusent les fake news sur les réseaux sociaux. La matérialisation d’une telle collaboration n’est pas encore prouvée, mais la volonté du gouvernement de restreindre l’usage des réseaux sociaux en politique remet en question l’équation simpliste qui voudrait que plus d’internet égal à plus de démocratie.
Dans un monde en pleine mutation technologique, la pénétration des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les sociétés africaines, comme partout ailleurs, contribue à la transformation du militantisme et de la gouvernance
Ce phénomène de « cybermilitantisme » constitue un défi pour les partis politiques, car la plupart de ces activistes agissent parfois hors du contrôle des leaders qu’ils suivent et peuvent nuire à la cause qu’ils sont sensés défendre. Parfois, au sein d’un même parti politique, il est possible de voir des Lives Facebook divergents entre factions du parti. Le contrôle de ces « cybermilitants » par les leaders politiques devient donc un enjeu politique.
Dans un monde en pleine mutation technologique, la pénétration des technologies de l’information et de la communication dans les sociétés africaines, comme partout ailleurs, contribue à la transformation du militantisme et de la gouvernance. Pour des pays, comme la Côte d’Ivoire, étant dans un processus démocratique difficile, l’usage des réseaux sociaux offre un espace de liberté d’expression et contribue à offrir un débat contradictoire à faible coût.
Mais la digitalisation du débat politique à travers les réseaux sociaux n’échappe pas aux réalités politiques du terrain. Pour la présidentielle ivoirienne qui se profile à l’horizon, le rôle des médias sociaux sera déterminant lors des échéances électorales et plus globalement sur le processus démocratique et la cohésion sociale en Côte d’Ivoire.
Credit photo : africa.la-croix.com