Auteur : Florian Léon
Organisation affiliée : The conversation
Type de publication : Article
Date de publication : Décembre 2022
*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Les organisations syndicales et patronales en Côte d’Ivoire se sont mises d’accord fin novembre pour recommander une hausse du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 25 % qui passerait ainsi de 60 000 à 75 000 francs (soit de 91 à 114 euros). Cette hausse, la première depuis 2014, vise à faire face à la flambée des prix, notamment des biens de première nécessité. Il est utile de s’interroger sur les impacts attendus de cette mesure notamment sur l’emploi et le niveau de vie, mais aussi sur les entreprises.
Effet incertain sur le marché du travail
La principale critique avancée face à une hausse du salaire minimum repose sur l’argument que la hausse du coût du travail implique une baisse de la demande de travail (par les entreprises). Ce qui accroît le chômage ou le travail informel, notamment des personnes les moins qualifiées. Les analyses empiriques sur les pays développés sont assez ambiguës sur ce point. Certes, il existe un effet négatif d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi mais celui-ci est très faible et souvent de court durée. La littérature sur les pays en développement, beaucoup plus restreinte et ignorant souvent l’Afrique, souligne que l’effet sur l’emploi est négatif mais limité.
Néanmoins, les jeunes et les moins qualifiés souffrent en termes d’employabilité de cette politique, dans la mesure où leur productivité est proche du salaire minimal. En outre, les étudesse contredisent quant à l’effet sur l’emploi informel, qui occupe une partie importante de la main d’œuvre.
Cet effet négatif sur la quantité de travail doit être mis en balance avec un effet positif sur les salaires non seulement des travailleurs payés au salaire minimum mais aussi ceux qui en sont proches en termes de revenus. Une hausse du salaire minimum induit une hausse de revenus des travailleurs se situant à ce niveau de rémunération, mais aussi de ceux gagnant légèrement plus que ce revenu en raison d’un maintien de l’échelle des salaires au sein d’une entreprise, comme cela a pu être montré dans les pays développés. Cette augmentation induit une hausse du pouvoir d’achat de ces travailleurs.
Dans le cadre de l’économie ivoirienne, la diffusion peut également se faire vers le bas de la pyramide en influençant positivement les revenus du secteur informel.
Trois solutions pour les entreprises
Au-delà de l’effet sur l’emploi et les salaires, il est utile de s’interroger sur les impacts pour les entreprises. Pour bien comprendre, les effets de cette hausse, il convient de noter que les entreprises ont trois possibilités pour faire face à l’augmentation du coût du travail.
La première solution consiste à augmenter le prix de vente. Cette solution est la plus indolore pour l’entreprise car le surcoût est entièrement transféré aux consommateurs. Néanmoins, dans le contexte actuel de forte inflation, les consommateurs sont sensibles au prix. Ces derniers risquent de se détourner des produits dont les prix exploseraient pour trouver des substituts (produits proches ou recours à des produits importés). En outre, il est probable que le gouvernement ivoirien soit sensible à cette question dans la mesure où l’inflation est scrutée par les autorités (plafonnement du prix de certains biens).
Les entreprises peuvent alors couper dans leurs dépenses pour limiter l’effet de la hausse des prix. Cette stratégie, pour être efficace, devra compenser non seulement l’augmentation du coût du travail mais aussi de la hausse du prix des autres intrants, notamment l’énergie. Autrement dit, cette stratégie ne sera efficace que si les entreprises parviennent à faire des économies drastiques, notamment sur les dépenses d’investissement ou de renouvellement de l’appareil productif, au risque de grever leur développement à long terme.
Ainsi, il est fort probable que la principale variable d’ajustement soit la marge de l’entreprise. Le risque à terme est de mettre en difficulté les entreprises les plus impactées par les hausses de coût parce que leur processus de production s’appuie sur des travailleurs peu qualifiés.
Des perdants et des gagnants
L’appréciation du SMIG pourrait avoir un effet positif sur la consommation notamment si l’effet prix (hausse des salaires) l’emporte sur l’effet quantité (baisse de l’emploi) et si les tensions inflationnistes sont en partie jugulées. Cependant, rien n’assure que la hausse de la demande bénéficie aux entreprises ou secteurs ayant subi la hausse du SMIG.
D’une part, la structure de consommation peut faire que les entreprises bénéficiant de la hausse de la demande opèrent dans des secteurs ayant peu recours à une main d’œuvre peu qualifiée (secteur manufacturier par exemple). D’autre part, même si la demande s’oriente vers des biens et services intensifs en main d’œuvre peu qualifiée, il y a toujours le risque que la demande se dirigent vers des biens importés dans la mesure où les entreprises ivoiriennes auront perdu en compétitivité.
Un autre risque de divergence entre entreprises porte sur l’effet de cette politique sur l’investissement et donc le potentiel à long terme des entreprises. La hausse du coût du travail a un effet ambigu sur l’investissement. D’une part, le travail étant plus coûteux, il devient plus rentable de le remplacer par du capital, comme des machines (on parle d’”effet prix”).
D’autre part, cette hausse du coût du travail induit une réduction des marges et obère la capacité des entreprises à financer des investissements (on parle alors d’”effet revenu”). L’effet net est incertain et dépend de l’importance relative des deux effets.
Néanmoins, une chose est sûre : toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Tout d’abord, dans certains secteurs très gourmands en main d’œuvre peu qualifiée, comme les services à la personne, le processus de capitalisation est limité. Un effet potentiellement bénéfique sur l’investissement est peu probable.
En outre, toutes les entreprises ne sont pas nécessairement capables de financer les investissements utiles à la substitution du travail par le capital, soit car leur trésorerie est trop faible soit qu’elles sont pas éligibes aux crédits bancaires (car trop petites, trop jeunes).
La hausse du SMIG en Côte d’Ivoire pourrait ainsi avoir des effets macroéconomiques limités, tout en favorisant une amélioration du pouvoir d’achat. La mesure est dès lors économiquement justifiée dans un contexte de hausse générale des prix (surtout qu’il est peu probable qu’elle favorise réellement l’inflation). Néanmoins, cela ne signifie pas que cette politique est indolore car certains secteurs ou entreprises pourraient être perdants. Les pouvoirs publics doivent prendre conscience que certains secteurs (services à la personne, commerce) pourrait souffrir de cette décision pour éventuellement alléger leurs charges (par exemple, avec des réduction des cotisations sociales sur les bas salaires).
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