Auteur : Ministère de l’Éducation Nationale
Organisation affiliée : UNICEF
Type de Publication : Rapport
Date de publication : 2019
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*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
L’objectif de cette recherche est double.
- Développer une meilleure compréhension des trajectoires et dynamiques entourant les enfants talibés
- Identifier les sources de résilience (positive et/ou négative) que pourraient représenter leur cadre de vie et d’enseignement, et en particulier l’école coranique
43 à 55 % des enfants en âge d’être scolarisés n’ont pas fréquenté l’école classique formelle.
Etymologiquement parlant, garibou et talibé sont des mots arabes. Garibou vient du mot « gharib » qui signifie étranger en quête de substance, qui cherche, qui demande, qui mendie. Dans ce sens, le gariboudéni (enfant garibou) est un mendiant, qui peut être élève issu de structures d’éducation et de formation coranique ou non. Quant au mot talibé, il tire son origine de « talib » qui signifie élève, étudiant venu d’ailleurs à la recherche de la connaissance. Le talibé (élève ou étudiant) peut être mendiant ou non en dehors de l’école.
Pour la femme ou la fille, l’enseignement coranique reçu est supposé offrir des compétences lui permettant, en dehors de la pratique des rites musulmans, d’aborder les questions relevant de la sphère domestique. Celles-ci concernent essentiellement la consolidation et la pacification des relations de voisinage, la façon de tenir le foyer (rapport entre conjoints et beaux-parents, l’éducation des enfants), l’assistance à des familles musulmanes en proie à des conflits conjugaux, etc…
En principe, dans la « préception » coranique, le modèle type est celui où les apprenants rejoignent leur maître à son domicile pour y recevoir l’instruction. Mais il n’est pas rare de trouver des centres coraniques « nomades ».
La perception veut qu’un individu ne ressorte jamais de l’école coranique tel qu’il y est entré : l’enfant talibé qui achève son cursus est transformé et pétri de valeurs qui font de lui non seulement un bon croyant, mais aussi un homme droit.
La fréquentation de l’école coranique semble ne pas discriminer les sexes des apprenants. Dans le même espace d’apprentissage, aussi bien à Yorobodi qu’à Bouaké et Korhogo, une présence remarquable des petites filles et des femmes est observée. Conformément aux lois islamiques, les garçons et les filles sont séparés, assis sur des rangées distinctes.
La perception veut qu’un individu ne ressorte jamais de l’école coranique tel qu’il y est entré
Traditionnellement, les élèves de l’école coranique sont assis pieds croisés à même le sol, sur des nattes, des peaux d’animaux (mouton ou bœuf), des sacs vides ou des cartons, et font face au karamôkô (le maître coranique) qui est également assis par terre. Les enfants utilisent des planchettes en bois (walaga), un roseau ou bambou taillé en pointe en guise de stylet (kalima) et un encrier (dâbâ).
Les documents utilisés sont essentiellement le Coran et les Kitabs (livres). Le domicile du maître coranique sert de lieu de dispensation des cours. Cela se fait dans un endroit précis qui peut être la véranda, sous un arbre ou un abri de fortune.
Traditionnellement, les élèves de l’école coranique sont assis pieds croisés à même le sol, sur des nattes, des peaux d’animaux
Pour certains puristes, toute autre structuration de cet environnement pédagogique qui intégrerait du mobilier autre (comme un tableau, des tables-bancs ou des chaises) est de nature à s’éloigner de l’esprit de l’école coranique traditionnelle. De fait, pour ceux-ci, l’essence même du dougouman kalan est bien la posture assise à même le sol de l’apprenant et du maître. Dans cette forme « d’horizontalité basse », même les instruments et les supports de la pratique scripturale ne peuvent être modifiés, au risque de ne plus donner lieu à une école coranique. Ainsi, dans certaines communautés (Peuhl notamment), est-il inconvenable de parler d’école coranique si intervient le stylo à bille, le cahier et le tableau noir sur lequel serait utilisée la craie. Il s’agirait pour elles d’une école, mais pas d’une école coranique.
Dans le fonctionnement de l’école coranique, plus que dans les autres structures islamiques d’éducation, l’omniprésence de la figure et du statut du maître se manifeste aussi en dehors du cadre habituel de « préception ». En effet, la relation qui lie l’apprenant au maître se prolonge au sein de leurs familles respectives.
Dans la relation entre le maître coranique et l’enfant talibé, ce dernier se met entièrement à la disposition du maître et de sa famille. Cette « sujétion quasi totale » n’a d’autre mobile que l’espérance de l’obtention des bénédictions (la baraka) post-instruction coranique, perçues comme un sésame indispensable à la réussite future de l’apprenant, quelles que seraient ses entreprises futures.
Certains parents, en confiant leurs enfants aux maîtres coraniques, estiment que ces derniers sont capables non seulement de leur assurer une éducation religieuse et morale mais également d’en assurer la prise en charge, le cas échéant grâce à leurs pouvoirs ésotériques.
Dans la relation entre le maître coranique et l’enfant talibé, ce dernier se met entièrement à la disposition du maître et de sa famille
Bien que présentée comme une pratique éducative, selon certains participants à la présente recherche, la demande d’aumône constitue aussi une source de revenus pour certains maîtres coraniques. Dès lors, cette situation renforce la perception de certains pans de la population selon lesquels l’école coranique encourage la mendicité.
Selon des personnes consultées et comme décrit précédemment, certains maîtres coraniques recrutent un grand nombre d’enfants à l’extérieur de la Côte d’Ivoire, dans leurs pays d’origine, pour les exploiter et maximiser leurs gains économiques. Ne pouvant pas à eux seuls faire venir les enfants en Côte d’Ivoire, ils s’attachent les services des transporteurs. Afin d’échapper aux contrôles lors de la traversée des postes frontières, ils font voyager les enfants dans les véhicules transportant du bétail […].
Certains parents, en confiant leurs enfants aux maîtres coraniques, estiment que ces derniers sont capables non seulement de leur assurer une éducation religieuse et morale mais également d’en assurer la prise en charge
C’est dans ce cadre que le Plan Sectoriel pour l’Education et la Formation (PSE) 2016-2025 de Côte d’Ivoire vise notamment à « intégrer les écoles communautaires et islamiques dans le système formel », en tant qu’offres d’éducation. Ce dispositif a amené le Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement technique et de la Formation professionnelle (MENET-FP) à entreprendre le développement de la stratégie nationale d’intégration90 des structures islamiques d’éducation (SIE) non reconnues dans le système éducatif formel en 2018 et donc à s’interroger sur les objectifs à poursuivre et le type d’encadrement et de suivi à envisager pour les différentes SIE.
Bien que présentée comme une pratique éducative, selon certains participants à la présente recherche, la demande d’aumône constitue aussi une source de revenus pour certains maîtres coraniques
L’idée de la transformation-intégration des écoles coraniques dans le système éducatif formel requiert une certaine prudence et la prise en compte de considérations socioculturelles majeures. Au sein de certaines franges de la population musulmane, l’idée de l’école formelle, dite occidentale, reste perçue comme une institution de « mécréants », surtout chez certains précepteurs coraniques et parents musulmans.
Il n’est pas rare que les parents qui inscrivent leurs enfants dans les écoles coraniques se trouvent face à un dilemme : comment faire de sa progéniture un bon croyant éduqué selon les préceptes de l’Islam, tout en lui donnant l’instruction et les qualifications nécessaires à son insertion socioprofessionnelle ?
Au sein des communautés musulmanes, les perceptions négatives de l’école formelle restent vives et affectent les opinions quant à l’idée d’intégration.
« Intégrer les écoles communautaires et islamiques dans le système formel », en tant qu’offres d’éducation
Quatre enjeux majeurs apparaissent à la lecture des résultats de cette étude sur l’école coranique et les enfants talibés :
- L’accès des enfants talibés à l’enseignement général obligatoire et donc à l’école formelle ;
- La protection des enfants talibés contre différentes formes de violence et notamment l’exploitation ;
- La cohésion intra et intercommunautaire ;
- La mobilité des mineurs non accompagnés et la lutte contre l’économie transnationale de traite des enfants.
Bien que fortement présentes dans le paysage éducatif national, les dougouman kalan ou écoles coraniques ne sont pas toujours correctement appréhendées en tant qu’offre éducative à part entière. Pour une partie des populations, généralement non musulmanes, l’école coranique est ramenée à la pratique de la mendicité de certains enfants dans les rues de nombreuses villes du pays.
L’absence de contrôle des écoles coraniques et/ou des précepteurs par l’Etat comme les parents laisse la porte ouverte à d’autres formes d’abus ou d’instrumentalisation des enfants talibés. Par ailleurs, le désengagement affectif et financier des parents dans l’éducation de leurs progénitures expose les enfants talibés à des conditions de vie parfois périlleuses pour leur santé physique ou mentale.
Il s’agirait non plus de viser l’intégration des écoles coraniques en tant que telle, mais l’intégration des enfants talibés dans le système éducatif formel.
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