Auteur : Action pour la Protection des Droits de l’Homme
Organisation affiliée : Action pour la Protection des Droits de l’Homme, Konrad Adenauer Stiftung
Type de Publication : Rapport
Date de publication : Mai 2019
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La Côte d’Ivoire a connu la rupture de son contrat social, d’abord avec le coup d’état de 1999 et ensuite celui manqué du 19 septembre 2002 qui s’est mué en une rébellion armée avec la partition du pays entre le nord et le sud. Les élections de 2010 sensées être celles de sortie de crise vont connaitre finalement un dénouement violent avec offi ciellement 3000 morts, plus de 150 femmes violées et de nombreux déplacés internes, sans compter les nombreux dégâts matériels.
Recommandations
1- La volonté politique
2- L’établissement de la vérité
3- L’autorité de l’Etat et la sécurité des biens et des personnes
4- La justice nationale et internationale
5- La parole publique des leaders politiques
6- Le dialogue politique
7- La réforme des lois confligènes
8- L’accès équitable à l’administration et aux emplois publics
9-Un processus électoral équitable et transparent
10- Le pardon
11- Coexistence pacifique des communautés
12- L’identification des victimes
La réconciliation nationale dans les pays résilients est un défi important pour la reconstruction post crise et le rétablissement du tissu social. Les conflits nationaux ont toujours pour conséquence de créer la déchirure et la méfiance entre les communautés, surtout dans les nations marquées par des diversités ; Diversités politique, ethnique et religieuse. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à ce postulat, depuis le coup d’état manqué du 19 septembre 2002 qui s’est mué en une rébellion armée avec la partition du pays. Le nord à majorité, fief de la rébellion proche de monsieur Alassane Ouattara, alors opposant politique et le sud, loyale au gouvernement de monsieur Laurent Gbagbo, alors Chef de l’Etat.
Cette crise va connaître un véritable pique suite à la suite des élections avec une situation de quasi guerre civile et de graves violations des droits de l’homme. Selon l’organisation des Nations Unies, la crise ivoirienne a fait au moins trois mille morts et un million de déplacés, auxquels s’ajoutent plus de cent cinquante femmes violées, sans compter les milliers de personnes violentées ou torturées.
Justement, les différentes étapes du processus ivoirien de justice transitionnelle engagée par les autorités pour réconcilier les ivoiriens, bien que se voulant originales n’ont pas dérogée aux quatre étapes en faveur des victimes. Elles se sont déclinées de la façon suivante : pour le droit de savoir et le droit à la vérité, il a été marqué par la mise en place de deux commissions importantes. D’abord, la Commission Nationale d’enquête (CNE), puis la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR).
Mécanismes non judiciaires, ces deux commissions devaient contribuer globalement à faire la lumière sur les nombreuses exactions commises durant la crise postélectorale. En ce qui concerne le droit à la justice, cette deuxième composante a été exécutée à travers le tribunal militaire(TM) et la cellule spéciale d’enquête et d’instructions (CSEI) au plan national et au plan international, la cour pénale internationale (CPI), pour juger tous les crimes de sang, crime contre l’humanité, crime commis durant la crise postélectorale.
Quant au droit à la réparation, il a été créé plusieurs structures pour indemniser les nombreuses victimes de la crise qu’a connue la Côte d’Ivoire. La défunte CDVR a fait place à la commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV).
La démarche de réconciliation nationale semble double :
- Permettre aux victimes de s’exprimer publiquement ;
- Inviter les auteurs d’exactions à reconnaître leurs actes.
L’histoire des peuples se construit à l’aune d’expériences multiformes, parfois douloureuses. Contenir toute résurgence des conflits passe nécessairement par la pacification et la reconstruction des relations sociales et politiques au sein de l’Etat. Il appartient dès lors à l’Etat de créer le cadre idoine pour effacer les ressentis, et commémorer le vivre ensemble.
La reconstruction d’institutions crédibles est aussi une des raisons de la réconciliation pour créer la confiance dans les institutions issues de la transition. Il est nécessaire que leur mise en place soit précédée d’un processus honnête de réconciliation.
Dès la fin de la crise en 2011, le nouvel exécutif ivoirien a énoncé sa volonté manifeste de travailler ‘’à la Réconciliation, au rassemblement [des fils et des filles] et à l’espérance’’ après la violente crise que le pays a connu. Toutefois, au sein des populations, un sentiment largement partagé semble établir que les actions menées par l’Etat sont en deçà des attentes d’un vivre ensemble nouveau et apaisé. En effet, pour 41% des personnes consultées, le gouvernement semble ne pas avoir la volonté d’aller à la réconciliation. Ou, à tout le moins, même si des initiatives publiques existent, elles ne semblent peut être pas suffisamment volontariste pour engager le pays sur la voix d’une réconciliation et d’une paix durable. Ainsi, ce critère s’est-il vu affecté la note de 7, 70 / 20.
Lorsqu’on descend à l’échelle des régions, le sentiment qu’il y aurait un fossé entre la rhétorique politique sur le vivre ensemble apaisé et les initiatives publiques tendant à le promouvoir, reste prégnant. En effet, 55 % des ivoiriens interrogés dans la région du Bas-Sassandra estiment que rien n’a été fait. Cette position semble être partagée également par 54, 1% des habitants de la région du Loh Djiboua ainsi que 50% des habitants de la région du Grand Pont.
En revanche, 48 % des populations interrogées dans la région de l’Agnéby Tiassa estime que l’action politique de réconciliation portée par l’Etat est significative tant en quantité qu’en qualité. Pour elles au contraire, beaucoup aurait été fait pour la réconciliation depuis 2011. Au niveau politique et institutionnel, en effet, les initiatives n’ont pas manqué. Seulement elles semblent n’avoir pas été efficaces.
Le Président de la CDVR a multiplié également les initiatives à l’endroit des partis politiques de l’opposition à l’eff et d’obtenir une décrispation générale et leur participation au processus. En réponse à ces initiatives, une partie de l’opposition a constamment réclamé au préalable la libération des prisonniers dits politiques. A l’échelle communautaire, dans les régions fortement favorables à l’opposition ou encore dans les régions dont sont originaires ces cadres de l’opposition, cette position semble être partagée justifiant certainement l’idée selon laquelle beaucoup reste à faire au niveau de l’Etat pour la réconciliation.
De fait, la réconciliation nationale semble être au centre de toute l’activité politique et serait devenu un enjeu politique national, qu’exploiterait une partie de la classe politique nationale pour tenter d’exister politiquement. Elle engendre des enjeux stratégiques majeurs au niveau politique, économique et social.
RECOMMANDATIONS AU GOUVERNEMENT
Prendre une loi sur la réconciliation nationale qui défi nit le cadre et les mesures de nature à impulser la réconciliation nationale ; Soutenir le processus de réconciliation par la mise en place d’un Gouvernement d’unité nationale pour faire face au défi de la reconstruction post-crise ; Renforcer et légaliser le cadre de discussion permanent avec l’opposition ; Communiquer mieux sur les initiatives prises par le gouvernement et qui montre sa volonté de réconcilier ; Ouvrir l’espace audiovisuel à l’ensemble des courants de pensée et assurer la liberté d’expression à tous.
RECOMMANDATIONS AUX PARTIS POLITIQUES
S’engager pleinement dans la voie du dialogue entre acteurs politiques en vue de contribuer à un véritable apaisement du climat politique.
RECOMMANDATIONS AUX PARTENAIRES Encourager les partis politiques et le Gouvernement à un véritable dialogue inclusif de toutes les forces politiques sans exclusion aucune ; Soutenir la société civile dans son mandat de contrôle citoyen en vue d’aboutir à des réformes profondes du cadre juridique et institutionnel de la vie politique ;
Le droit de savoir ou le droit à la mémoire suppose l’établissement de la vérité pour permettre aux victimes et aux générations futures de connaître les causes des conflits qui ont émaillé l’histoire de la société. La Commission interaméricaine des droits de l’homme a estimé que : « Le droit de connaître la vérité est un droit collectif qui garantit à la société l’accès aux informations qui sont essentielles au fonctionnement des systèmes démocratiques (…).
Le droit à la vérité exige que les États fournissent des informations sur : les causes des événements qui ont conduit une personne à être victime d’une violation; les raisons, les circonstances et les conditions des violations des droits humains ; aussi , chaque peuple a le droit inaliénable de connaître la vérité sur les événements passés relatifs à la perpétration de crimes odieux, ainsi que sur les circonstances et les raisons qui ont conduit, par la violation massive ou systématique des droits de l’homme, à la perpétration de ces crimes. L’exercice plein et effectif du droit à la vérité constitue une protection essentielle contre le renouvellement des violations. »
Recommandations au Gouvernement
Fournir une plateforme publique à toutes les victimes pour s’exprimer et aux perpétrateurs pour avouer leurs actes ; Etablir une version réconciliée avec les comptes rendus précis, détaillés et impartiaux diff érents des versions partisanes des acteurs du conflit. Inclure un curricula de formation dans les programmes scolaires ; Vulgariser et rendre accessible la version complète du rapport de la CDVR.
Recommandations à la société civile
Soutenir et adresser des initiatives des victimes tendant à établir la vérité des faits. Plaider pour la mise à disposition des différents rapports de la CDVR.
De plus, en Côte d’Ivoire, contrairement à l’expérience sud-africaine, le processus de justice transitionnelle a mis une emphase importante sur la justice pénale. En effet, comme le souligne Lætitia Bucaille (2007) ‘’en Afrique du Sud11, la Commission Vérité et réconciliation a placé au centre de son action, les notions de compassion, de responsabilité, et de pardon.
En instaurant une amnistie à la fois personnelle et conditionnée à la reconnaissance de la vérité, la Commission a cherché à contribuer à la refondation de la nation’’. Ce processus créait un cadre d’échange entre victimes et bourreaux ; les faits étaient exposés en public ; après quoi, des excuses publiques étaient présentées par les bourreaux. Les excuses officielles peuvent jouer un rôle important pour la réconciliation nationale.
L’Etat a l’obligation de protéger sa population et veiller à l’intégrité de son territoire. Aux termes de l’art 39 de la Constitution ivoirienne : « La défense de la Nation et l’intégrité du territoire est un devoir pour tout ivoirien. Elle est assurée exclusivement par les forces de défense et de sécurité nationales, dans les conditions déterminées par la loi.». Il est une garantie de sécurité pour chaque personne de telle sorte que la protection des Droits Humains s’en trouve épanouie. Encore faut-il que cet Etat ait suffisamment d’autorité pour garantir sa mission. Il ressort de cette étude que l’incapacité de l’Etat à protéger ses populations, est sévèrement sanctionnée par la note de 7,82/20.
Dans les pays qui sortent de crise, l’administration de la justice de façon à faire droit à l’attente des victimes est un critère de construction de la réconciliation nationale. L’impartialité de la justice contribue à réparer les violations des droits de l’homme et à obliger les bourreaux à rendre compte.
Ainsi, sur 1287 personnes interrogées sur la question de la poursuite de tous les suspects ou acteurs clés de la crise par la justice nationale et internationale, 987, soit 77 % ont répondu par la négative contre 184 individus soit 14,30 % pour l’affirmative. Seulement 108 enquêtés, soit 8,39% ne se sont pas prononcés.
Dans son rapport de 2011 intitulé : « Côte d’Ivoire : Les méthodes expéditives de la Commission nationale d’enquête suscitent des inquiétudes »15, Human Rights Watch, signale que, les forces armées des deux camps avaient commis des crimes de guerre et selon toute probabilité des crimes contre l’humanité. Une commission d’enquête internationale a présenté un rapport au Conseil des droits de l’homme établissant également que des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité avaient été perpétrés à la fois par les forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara.
Le Haut-commissariat aux droits de l’homme16, les Opérations des Nations-Unies en Côte d’Ivoire, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme et Amnesty International ont tous publié des conclusions similaires. Le fait pour la justice, qu’elle soit nationale ou internationale de ne juger qu’un seul camp est certainement préjudiciable au processus de réconciliation.
Au niveau même national, l’exécutif ivoirien a institué par décret N° 2011-176 en date du 20 juillet 2011, la commission nationale d’enquête. Les conclusions de ladite commission ont déduit que les crimes, qui avaient été commis lors de la crise de 2010 à 2011 émanent des forces fidèles à Gbagbo et à Ouattara et soulignent par ailleurs, l’importance de juger tous les auteurs, quelle que soit leur affiliation. De même, un groupe de travail de juges et de procureurs, connu sous le nom de Cellule Spéciale d’Enquête et d’Instruction (CSEI), a été mis sur pied pour gérer les poursuites des auteurs de crimes liés à la violence post-électorale.
Recommendations au Gouvernement
Donner suffisamment de gage d’une justice indépendante, équitable et impartiale, de sorte que, le justiciable soit en présence d’une juridiction qui jouit de toutes les garanties de fait et de droit de son indépendance ; Poursuivre les responsables de violations graves aux droits humains indépendamment de leur opinion politique, religieuse, ethnique, et raciale ; Rendre la justice accessible en réformant la carte judiciaire. Doter la justice des moyens nécessaires à son efficacité.
Recommendations à la Société Civile
Informer et sensibiliser la population sur leurs droits, devoirs, les lois réprimant les crimes internationaux. Promouvoir une culture d’accès à la justice.
Les efforts des pouvoirs publics tendant à ressouder le tissu social, malgré des campagnes intenses de communication, semblent ne pas être suffisamment perçus
En attribuant la note de 8,58/20 à ce critère, les enquêtés semblent convenir que la promotion de la coexistence pacifique entre communautés reste l’un des meilleurs acquis du processus de réconciliation dans le pays. D’importants investissements en termes de mécanismes institutionnels de renforcement de la coexistence pacifique entre communautés à l’échelle locale auraient été réalisés dans ce sens. Toutefois, du point de vue des populations, les efforts des pouvoirs publics tendant à ressouder le tissu social, malgré des campagnes intenses de communication, semblent ne pas être suffisamment perçus.
Recommendations au Gouvernement
- Reformer la loi n°98-750 du 23 déc 1998 relative au foncier rural afin de l’adapter aux réalités actuelles ; – Promouvoir la cohésion sociale à travers des émissions télé et radio dans les principales langues du pays sur les chaines nationales (RTI, radio CI et fréquence 2) ; – Mettre en place dans les régions potentiellement exposées aux conflits intercommunautaires, des comités locaux, composés de personnes formées sur les techniques de médiation; – Eduquer les populations à la citoyenneté; – Promouvoir le jeu à caractère de plaisanterie inter-ethnique.
Recommendations à la Société Civile
– Poursuivre inlassablement ses actions en faveur de la cohésion sociale; – Faire des campagnes de vulgarisation de la loi de 1998 sur le foncier, méconnue des populations, afin qu’elles s’imprègnent et s’approprient pour éviter les conflits fonciers ;
Recommendations aux partenaires
- Appuyer financièrement et techniquement la société civile dans toutes les activités relatives à la paix et à la cohésion sociale ; – Faire du lobbying auprès des autorités pour la mise en œuvre des différentes recommandations des OSC relatives à la cohésion sociale.
Globalement, le sentiment que l’accès aux emplois publics n’est pas égalitaire et donc ne repose pas sur des critères objectifs de mérite, semble être largement partagé. En effet, ce sont 74% des enquêtés qui pensent que les nominations aux emplois publics, ainsi que l’accessibilité aux concours de la fonction publique manque de transparence et d’équité. Pour inspirer confiance à l’ensemble de la population, l’Administration doit être neutre et l’Etat doit garantir un accès équitable aux emplois publics à tous.
La garantie de non répétition est un droit reconnu aux victimes de graves violations des droits de l’homme. Elle implique qu’au terme d’un processus de justice transitionnelle, les autorités de transition opèrent les réformes législatives et institutionnelles nécessaires pour éviter que les mêmes violations ne se répètent. Dans le processus ivoirien, le gouvernement a procédé à une série de réformes notamment celle de la Constitution, de la loi sur la nationalité, de la loi sur la Commission électorale indépendante (CEI) et de la loi sur le foncier rural.
Une des questions était de savoir si la CEI et le Conseil Constitutionnel étaient dignes de confiance. A cette question, les enquêtées ont répondu à 62,21% que ces institutions n’emportaient pas leur confiance. Mieux, sur les 37, 79 % restant, seul 20% affirme avoir totalement confiance dans ces organes électoraux.
L’examen des tableaux par grand groupe ethnique fait apparaitre que 54,3% des mandés du nord estiment que le gouvernement a beaucoup fait en vue de doter la Côte d’Ivoire d’institutions électorales crédibles. Au contraire, les krou ne soutiennent qu’à 7,5% que le gouvernement a engagé des réformes nécessaires pour un cadre électoral crédible. Comment expliquer cette différence de perception ? Elle peut s’expliquer par les affinités politiques des uns et des autres.
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