Coronavirus et menace terroriste en Côte d’Ivoire

Coronavirus et menace terroriste en Côte d’Ivoire

Yannick Houphouët Kouablan

A l’instar de la quasi-totalité des nations, la Côte d’Ivoire fait face à un état d’urgence sanitaire sans précédent lié à la pandémie de Coronavirus (Covid-19). En date du dimanche 26 avril 2020, la Côte d’Ivoire enregistre 1150 cas confirmés dont 468 guéris et 14 décès. Au-delà de la mobilisation du personnel médical et soignant, des pressions suscitées par l’avènement de cette pandémie ainsi que des défis à relever afin d’aboutir à un système santé plus performant en Côte d’Ivoire, la lecture de cette crise sanitaire inédite pourrait être également appréhendée sous un prisme davantage sécuritaire.

Pour rappel, le 13 mars 2016, des hôtels de la station balnéaire de Grand-Bassam font l’objet d’une attaque par des hommes armés de kalachnikovs. Le bilan est lourd et fait état de 19 morts, alors que l’attaque est revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) au travers de sa Katiba Al-Mourabitoune. Il s’agit de la première attaque djihadiste sur le territoire ivoirien qui fait indéniablement les frais de la participation des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI) aux Opérations de maintien de la paix (OMP) de l’Organisation des Nations Unies (ONU) notamment la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies au Mali (MINUSMA) qui recense 600 soldats ivoiriens.

 Une opération militaire dénommée « Frontière étanche » est lancée en fin d’année 2019 dans le septentrion ivoirien afin de sécuriser les 1116 km de frontières qui séparent le pays du Mali et du Burkina Faso

Par ailleurs, la dégradation du contexte sous régional et la multiplication des attaques djihadistes sur le territoire burkinabè voisin, font peser une menace crédible d’expansion des zones d’opération djihadistes aux frontières des États côtiers, en l’occurrence la Côte d’Ivoire mais également le Ghana, le Togo et le Bénin (où des touristes français ont été enlevés le 1er mai 2019 dans le parc de la Pendjari situé à la frontière avec le Burkina Faso).

Dès lors, la Côte d’Ivoire demeure en état d’alerte. En effet, une opération militaire dénommée « Frontière étanche » est lancée en fin d’année 2019 dans le septentrion ivoirien afin de sécuriser les 1116 km de frontières qui séparent le pays du Mali et du Burkina Faso. 300 militaires sont déployés afin de prêter main forte aux policiers et douaniers déjà mobilisés sur zone.

Ainsi, la propagation de la Covid-19 pourrait représenter de véritables opportunités opérationnelles pour les Groupes armés terroristes (GAT). Ces opportunités pourraient se décliner selon les points suivants :

Exploitation des peurs des populations locales et du ralentissement de l’activité économique à des fins de recrutement  

Contrairement aux idées reçues, l’argument idéologique ne représente en aucun cas le motif premier d’enrôlement des jeunes au sein des rangs des GAT. Le désir de reconnaissance et de justice sociale, le sentiment d’exclusion, de stigmatisation ou encore d’exclusion, le besoin de sécurité, la défiance envers l’administration étatique, constituent entre autres les principaux motifs d’engagement des jeunes aux côtés des GAT.  Face à un taux de chômage endémique ainsi qu’une faible capacité d’insertion socio-professionnelle, « l’industrie djihadiste » apparaît malheureusement comme un véritable pourvoyeur d’opportunités rémunératrices.

D’après les autorités ivoiriennes, un scénario de perte de 1,5% de croissance est à prévoir cette année du fait de la pandémie. Les populations rurales, notamment les jeunes, aspirant à de meilleures conditions de vie et voyant en la capitale économique Abidjan, le lieu de concentration des principales opportunités d’emploi, ne pourront désormais plus effectuer aisément le déplacement. En effet, le district d’Abidjan représente l’épicentre de la pandémie sur le territoire national. Par ailleurs, la décision des autorités ivoiriennes d’isoler le « Grand Abidjan » des villes de l’intérieur du pays, interdit de facto tout déplacement entre ces deux zones.

Contraints ainsi de demeurer dans leurs localités respectives, ces jeunes dont l’activité locale n’aurait pas été épargnée par la crise sanitaire, pourraient davantage  faire l’objet de ciblage par d’éventuelles cellules djihadistes dormantes.

le district d’Abidjan représente l’épicentre de la pandémie sur le territoire national. Par ailleurs, la décision des autorités ivoiriennes d’isoler le « Grand Abidjan » des villes de l’intérieur du pays, interdit de facto tout déplacement entre ces deux zones

A noter que ce recrutement djihadiste peut également être effectué en milieu urbain. En effet, les combattants ayant perpétré l’attaque de Grand-Bassam auraient séjourné pendant près de deux mois dans un grand hôtel de la ville d’Abidjan. De nombreux repérages du lieu de l’attaque ont ainsi pu être effectués avant de passer à l’acte. D’après le communiqué de revendication d’AQMI, ces derniers étaient au nombre de trois, dont deux qui avaient déjà conduit une attaque deux mois plus tôt dans la capitale burkinabè, Ouagadougou (30 morts). De son côté, le gouvernement ivoirien fait état d’une attaque conduite par 6 terroristes. Il ne fait ainsi aucun doute que ces trois autres « terroristes », non mentionnés dans le communiqué officiel d’AQMI et qui auraient vraisemblablement pris la fuite, ont été recrutés localement afin de conduire l’opération.

Difficulté d’application des mesures strictes de confinement 

D’après un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié le 11 juillet 2017, l’économie informelle en Côte d’Ivoire oscillerait entre 30 et 40% du PIB. De nombreux ménages ivoiriens ne percevant pas de revenus fixes à chaque fin de mois, développent toutes sortes de petites activités nécessitant une présence en permanence en dehors du lieu d’habitation et un contact plus ou moins étroit avec d’autres individus afin de subvenir à leurs besoins. Ce fait met ainsi en exergue les difficultés de mise en œuvre des mesures de confinement telles qu’effectuées dans les pays occidentaux. C’est dans cette perspective que les autorités ivoiriennes ont dégagé un fonds spécial de 13,3 milliards de FCFA pour assister environ 180 000 ménages défavorisés à travers des transferts monétaires de 75 000 FCFA par trimestre.

Bien que, dans le cadre de la lutte contre la pandémie, les autorités ivoiriennes aient prorogé le couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national le 24 mars dernier pour une période allant du 25 avril au 8 mai, de 21h à 5h du matin, les difficultés d’application des mesures strictes de confinement pourraient accroître l’exposition des populations à d’éventuelles attaques djihadistes.

C’est dans cette perspective que les autorités ivoiriennes ont dégagé un fonds spécial de 13,3 milliards de FCFA pour assister environ 180 000 ménages défavorisés à travers des transferts monétaires de 75 000 FCFA par trimestre

En effet, loin de conduire des attaques complexes et d’envergures, les GAT pourraient activer des cellules dormantes sur le territoire afin de réaliser des opérations de type « loup solitaire » contre des cibles bien identifiées à l’aide de simples armes blanches et ce, sans utilisation de moyens opérationnels conséquents (arme automatique, ceinture d’explosifs etc.) : on parle alors de « terrorisme low cost ».

Quant aux cibles de ces attaques, bien que les populations occidentales demeurent des cibles prioritaires pour les combattants, les locaux peuvent également faire l’objet de dégâts collatéraux.  En effet, parmi les victimes civiles de l’assaut de Grand-Bassam, sept d’entre elles étaient de nationalité ivoirienne.

Réorganisation des priorités des forces de défense et de sécurité 

Mobilisés à la frontière nord avec le Burkina Faso ainsi que dans la lutte contre la propagation du coronavirus sur toute l’étendue du territoire national, les FACI sont sollicitées sur plusieurs fronts. Cette réorganisation des priorités opérationnelles des FACI au travers de leurs participations à l’effort sanitaire et au respect des mesures spécifiques édictées par les autorités ivoiriennes (restriction de mouvement, couvre-feu etc.) pourrait être bénéfique aux GAT et faciliterait de facto la conduite d’attaques djihadistes à travers l’activation de cellules dormantes.

Il revient ainsi aux Forces spéciales ivoiriennes (FSI), corps d’élite de l’armée de prendre leurs responsabilités et de faire preuve de vigilance afin de déjouer tout projet d’attentat fomenté sur le territoire national

Ainsi, parallèlement à la focalisation des autorités ivoiriennes sur la lutte contre la propagation de la pandémie, la menace djihadiste pesant sur le territoire national pourrait significativement s’accroitre. Vu les multiples des défis auxquels est confronté le pays, une priorité stratégique devrait être attribuée à chaque corps d’armée afin d’obtenir une véritable efficacité opérationnelle. Il revient ainsi aux Forces spéciales ivoiriennes (FSI), corps d’élite de l’armée de prendre leurs responsabilités et de faire preuve de vigilance afin de déjouer tout projet d’attentat fomenté sur le territoire national. Le succès de cette mission ne pourrait être effectif sans la parfaite collaboration des populations locales (y compris les chefs traditionnels locaux) qui représentent un vivier de renseignement humain indispensable pour l’identification et le démantèlement de tout réseau djihadiste.

 


Crédit photo : afriquematin.net

Yannick Houphouët Kouablan

 

Passionné par les dynamiques politico-sécuritaires en lien avec le continent africain et plus précisément l’Afrique de l’Ouest ainsi que la région sahélienne, Yannick Houphouët Kouablan est actuellement chargé de projets sûreté au sein de la maison Balenciaga en France. Ayant accumulé des expériences dans le milieu diplomatique, humanitaire ainsi qu’au sein d’organisme de conseil en sécurité, il a su acquérir de véritables compétences en matière d’analyse politique et sécuritaire.