Théodore Golli
La Côte d’Ivoire se prépare à connaître une élection présidentielle cette année 2020. Pendant que tous les regards sont fixés sur les acteurs majeurs de la scène politique ivoirienne que sont le président sortant Alassane Ouattara, le sphinx de Daoukro, Henri Konan Bédié et la Woody de Mama, Laurent Gbagbo afin de savoir quelle sera leur conduite lors de ces joutes électorales. À la grande surprise, le premier cité a ,dans une allocution le 5 mars devant le congrès réuni en session extraordinaire à Yamoussoukro (la capitale politique ivoirienne), déclaré ne pas être candidat à la prochaine élection.
Coup de maître de Ouattara
Coup de tonnerre pour les uns, seulement un effet d’annonce pour les autres, le fait est que la terre d’Éburnie venait de voir l’un des acteurs majeurs des différentes crises successives qu’elle a connues se retirer de la course à la magistrature suprême.
Tous les regards se tournent désormais vers les deux autres acteurs restants. Suivront-ils les pas de Alassane Ouattara afin de tourner la page de 30 ans de tumultes politiques qui a coûté la vie à de nombreuses personnes et a entamé considérablement le tissu social ayant encore du mal à se ressouder ?
Alassane Ouattara vient de « mettre au pied du mur » les anciens présidents Bédié et Gbagbo. Un coup politique que ces derniers n’ont certainement pas vu venir. Bédié emboitera-t-il le pas du président Ouattara ? Il avait déclaré qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2020 que si Ouattara l’était. Pour ce qui concerne Gbagbo, ses démêlés avec la justice ne lui permettent pas actuellement de se positionner dans la course présidentielle. Ce qui est sûr, l’annonce du retrait de Ouattara semble avoir fait baisser les tensions qui avaient commencé à monter à l’approche de la présidentielle de 2020.
De la recomposition du paysage politique
Le paysage politique ivoirien est en voie de recomposition. Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à l’instar du Front populaire ivoirien (FPI) et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) connaît des crises internes. Après le départ de Guillaume Soro, c’est autour de l’ancien ministre des Affaires étrangères Marcel Amon TANOH, l’un des fidèles lieutenants du président Ouattara de claquer la porte du RHDP après le plébiscite d’Amadou Gon Coulibaly comme dauphin et candidat du RHDP.
Cependant, le mérite du RHDP est que pour l’heure, c’est le seul parti dont le candidat est connu
Albert Mabri Toikeuse, président de l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), numéro deux du directoire du RHDP digère mal ce choix même s’il n’a pas encore clairement affiché sa position. A côté de ces deux ténors du pouvoir qui ont affiché ouvertement leur désapprobation du choix de Ouattara, des voix plus discrètes manifestent leur opposition, mais n’osent pas affronter ouvertement leur mentor.
Cependant, le mérite du RHDP est que pour l’heure, c’est le seul parti dont le candidat est connu. Le PDCI et le FPI traînent encore le pas à 7 mois de l’élection présidentielle. Le PDCI a prévu d’organiser sa convention en juin, mais force est de constater qu’aucune velléité de candidature n’est déclarée. Tous semblent attendre la décision de Bédié. Reste à savoir si cette convention aura lieu du fait de la crise sanitaire du Covid-19.
Pour l’heure, tout semble figé. Tout le monde attend les décisions de Bédié et de Gbagbo
Le candidat déclaré Guillaume Soro, en exil en France, se prépare comme il le peut. Ses messages à la nation et autres déclarations sur les réseaux sociaux se succèdent. Cela suffira-t-il ? Sera-t-il de la partie en octobre 2020 au vu des charges qui pèsent sur lui et la condamnation à des peines privatives de liberté et de droit civique que vient de lui infliger la justice ivoirienne ? Bien malin qui le saura !
Pour l’heure, tout semble figé. Tout le monde attend les décisions de Bédié et de Gbagbo. Même s’il y a eu rapprochement entre ces deux personnalités politiques, le jeu politique demeure ouvert. La coalition de l’opposition proposée par Bédié est constituée de petits partis et groupements politiques sans grande influence sur la scène politique. Bien qu’ayant approuvé cette initiative, la frange du FPI restée fidèle à Gbagbo n’y a pas adhéré. Pour l’heure, le FPI travaille à panser ses blessures internes. Affi N’guessan et Laurent Gbagbo œuvrent à la réunification du FPI en vue de sa participation à la présidentielle. Y parviendront-ils ? Comme le dirait l’autre wait and see !
Le RHDP est déjà en précampagne. Son candidat est déjà à la tâche. Il manœuvre déjà pour s’attirer les faveurs des populations afin de pallier son manque de charisme tant décrié par ses adversaires au sein du RHDP. Il sait pouvoir compter sur le soutien de son mentor, le président Ouattara. Mais, il sait aussi qu’il doit faire ses preuves s’il veut pouvoir ratisser large. En attendant, il travaille à faire taire toutes les oppositions au sein de son parti.
C’est dans ce contexte que la constitution a été révisée et un nouveau code électoral adopté par ordonnance. Le gouvernement prépare les élections avec la mise en place du cadre juridique et administratif pendant que l’opposition conteste sans grand succès.
Passage de témoin à la nouvelle génération ?
La population ivoirienne est majoritairement jeune (77% de la population a moins de 35 ans). Cette jeunesse est de plus en plus critique envers ses dirigeants politiques et souhaite un « passage de témoin » ou plutôt l’émergence d’une nouvelle classe politique.
Si Ouattara avait manifesté son désir de passer le témoin à une nouvelle génération, il est important de constater qu’Amadou Gon Coulibaly n’est pas nouveau sur la scène politique. Il n’appartient pas à la nouvelle génération. D’où la question de savoir qu’entendait-il par nouvelle génération ? Le Premier ministre Gon aurait-il le soutien de la jeunesse ?
Cette jeunesse est de plus en plus critique envers ses dirigeants politiques et souhaite un « passage de témoin » ou plutôt l’émergence d’une nouvelle classe politique
Pour l’heure, la jeunesse ivoirienne a soif de nouveaux leaders qui pourront prendre en compte ses préoccupations. On peut constater l’engouement suscité par la jeune députée de Cocody Yasmina Ouegnin . Beaucoup de jeunes rêvent de la voir briguer la magistrature suprême. Aujourd’hui, c’est un groupe de jeunes bénévoles qui se relaient à sa permanence pour l’aider à accomplir sa mission et se tiennent à sa disposition si d’aventure elle décidait de tenter de se lancer dans la course présidentielle.
La jeunesse semble fatiguée de cette classe politique qui depuis plus de trente ans n’a pu apporter une alternative crédible à la situation socio-économique à part la guerre de positionnement entre trois hommes coupés de la réalité.
Quid de la nouvelle génération ?
Le RHDP, le PDCI et le FPI ne semblent, pour le moment, pas préparés à faire la promotion de la jeune génération. Même si la jeune génération est de plus en plus présente dans les instances de ces partis, ces structures ont un fonctionnement profondément « féodal et gérontocratique » où seule la voix du chef compte. On ne s’oppose pas impunément aux anciens et à la décision du chef (exemple de Guillaume Soro au RHDP, Kouadio Konan Bertin dit KKB au PDCI et même de Yasmina Ouegnin). La jeunesse est donc dans l’attente du déclic.
Jean Louis Billon et Thierry Tanoh du PDCI-RDA bien qu’ayant des velléités de candidatures n’osent pas se prononcer ouvertement tant que Bédié ne s’est pas encore prononcé sur sa candidature. Quant au FPI, la peur de subir le même sort qu’Affi N’guessan ne laisse transparaître l’éclosion d’un jeune leader à même de porter l’étendard du parti. Tous sont dans l’attente de la décision de Gbagbo. C’est dans ce contexte que nous avançons allègrement vers le scrutin de 2020.
Une classe politique assez divisée ?
La classe politique ivoirienne est profondément divisée. Incapable de s‘entendre sur le minimum. Opposition et pouvoir rejettent automatiquement les propositions des uns et des autres sans même penser à l’intérêt général. L’opposition s’oppose et le pouvoir gouverne, telle est l’impression que donne le comportement de cette classe politique. Le pouvoir veut par tous les moyens conserver le pouvoir et l’opposition le conquérir aussi par tous les moyens. Nous assistons donc à un dialogue de sourds. Dans ces conditions, il est donc difficile d’aborder avec sérénité le prochain chapitre électoral ivoirien.