Geoffroy-Julien Kouao
La polygamie est un fait de société, une institution sociale. Présentée ainsi, elle a des avantages et des inconvénients. Les différentes argumentations des opposants et partisans de la polygamie le montrent suffisamment, en ce qu’elles rivalisent de pertinence. Dans une république, il n’y a pas de sujet tabou. La problématique de la polygamie, en Côte d’Ivoire, ne doit donc pas être éludée à défaut d’être élucidée.
Dans une démocratie, le débat contradictoire est normal et in fine, il est tranché par l’élection : la vérité revenant à la majorité. De ce qui précède, surgit l’interrogation de savoir comment, dans la république démocratique qui est la nôtre, départager les opposants et les partisans de la polygamie ?
Le Parlement, pouvoir constituant dérivé, est-il compétent pour décider d’une question de haute portée sociale, économique voire politique ? La réponse est malaisée, car à l’observation, la proposition de loi relative à la polygamie pose un double problème juridique et politique.
Selon l’article 74 nouveau de la constitution du 8 novembre 2016, l’initiative de la loi appartient concurremment au président de la République et aux membres du Parlement. Les membres du Parlement sont les députés et les sénateurs.
Je pense que le Parlement ivoirien, représentant la nation et non le peuple, n’est pas politiquement compétent pour se prononcer sur la question relative à la polygamie. Ce qu’il faut faire, dans l’espèce, c’est de recourir au référendum législatif encadré par l’article 75 de la Constitution
De ce qui précède, le député de Koumassi a le droit constitutionnel de proposer une loi. Le hic, c’est que la question relative à la polygamie va au-delà du droit, elle est avant tout politique car architectonique. Le Parlement, dans une démocratie, est-il politiquement compétent pour se prononcer sur une question épineuse comme la polygamie ? La réponse est à relativiser. Selon l’alinéa premier de l’article 96 de la constitution « Chaque parlementaire est le représentant de la nation entière », subséquemment, le député représente la Nation, mais il ne représente pas le peuple. Nuance. La nation est une notion abstraite, une représentation intellectuelle. C’est une fiction juridique et politique. Quant au peuple, c’est une notion concrète, physique. Le peuple, c’est l’ensemble des citoyens, c’est la population. Parce que fiction juridique et politique, la nation est représentée par des élus. C’est le principe de la démocratie représentative.
Le problème est que l’élu ne représente pas les électeurs encore moins la population. On comprend alors toute la pertinence de l’alinéa 2 de l’article 96 de la loi fondamentale ivoirienne qui dispose que « Tout mandat impératif est nul ». Ceci signifie simplement que le député, une fois élu, n’a plus de compte à rendre aux électeurs, il n’est pas obligé de suivre les recommandations des électeurs. Il ne fait que ce que bon lui semble.
Les électeurs, les populations ne peuvent pas révoquer un député, un sénateur pendant l’exercice de son mandat. A l’observation, on voit là toute la limite du système représentatif, démocratiquement parlant. C’est pourquoi, le constituant ivoirien a confié la souveraineté au peuple et non à la nation. Notre souveraineté n’est pas nationale, elle est populaire. En effet, selon l’article 60 de la Constitution ivoirienne « La souveraineté appartient au peuple.
Le Parlement, dans une démocratie, est-il politiquement compétent pour se prononcer sur une question épineuse comme la polygamie ? La réponse est à relativiser
Aucun segment du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » La souveraineté populaire consacre la démocratie directe qui se manifeste, à l’époque actuelle, par le référendum. Avec le référendum, tous citoyens électeurs se prononcent sur une question d’une grande portée politique, sociale et économique. La loi adoptée par voie de référendum est frappée du sceau de la légitimité absolue.
A l’analyse, je pense que le Parlement ivoirien, représentant la nation et non le peuple, n’est pas politiquement compétent pour se prononcer sur la question relative à la polygamie. Ce qu’il faut faire, dans l’espèce, c’est de recourir au référendum législatif encadré par l’article 75 de la Constitution en ces termes « Le président de la République, après consultation du bureau du congrès, peut soumettre au référendum tout texte ou toute question qui lui paraît devoir exiger la consultation directe du peuple. »
Sauf à renoncer aux valeurs démocratiques et républicaines, le Parlement, pouvoir constituant dérivé, ne peut pas valablement se substituer, dans l’espèce de la question relative à la polygamie, au peuple, pouvoir constituant originaire.
Crédit photo : Abidjan.net
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