Auteur : Dr Maxime Ricard
Site de publication : irsem.fr
Type de publication : Note de recherche
Date de publication : 7 juillet 2021
*Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
Le secteur de la sécurité ivoirien fait face à d’importants défis depuis la décennie de crises militaro-politiques (1999-2011).
Les reconfigurations post-mutineries dans l’armée ivoirienne
Les mutineries militaires de janvier et mai 2017, symbole des relations complexes, ont profondément déstabilisé le pays et même fait vaciller le pouvoir d’État. Les forces de sécurité se sont retrouvées en première ligne lors de la très tendue élection présidentielle de 2020, qui a eu pour résultat près d’une centaine de morts lors de violences électorales, dans un contexte de resserrement autoritaire.
En 2016, le vote d’une loi de programmation militaire avait annoncé l’ambition affichée du gouvernement d’une réforme de l’armée ivoirienne, avec l’objectif d’augmenter la part des investissements dans les équipements et de réduire le poids des salaires dans le budget de l’armée.
L’intégration dans l’armée de nombreux éléments « post-crise » a entraîné des recrutements fondés sur l’entregent et la cooptation. Pour répondre aux demandes financières des mutins en 2017, l’application de la loi de programmation militaire a dû être revue pour payer les primes accordées.
À bien des égards, le choc qu’a constitué cette situation de crise en 2017 a initié une prise de conscience de l’importance de mettre en place des réformes déjà identifiées comme nécessaires par cette loi de programmation militaire (2016-2020).
L’esprit de cette loi était de s’attaquer aux problèmes fondamentaux de déséquilibre de la pyramide des grades et des âges dans l’armée ivoirienne, et des dépenses de salaires par rapport aux dépenses d’équipements et d’investissements.
Cependant, quatre ans après les mutineries de 2017, la plupart des spécialistes soulignent la relative opacité et la faible communication sur les résultats de cette loi.
Avec notamment le soutien de la coopération française, un Bureau d’accompagnement et de reconversion des militaires a été créé. Dans le sens inverse, pour rééquilibrer la structure de l’armée, des recrutements de soldats du rang sont réalisés. Par ailleurs, l’amélioration des prestations sociales dans l’armée ainsi que les infrastructures de base, pour relever les conditions de vie des militaires et de leurs familles, a été promue à grands renforts de communication via des tournées dans les casernes.
D’autres dynamiques importantes sont à signaler concernant certaines reconfigurations dans l’armée ivoirienne. La première est la montée en puissance du Conseil national de sécurité, structure rattachée à l’exécutif et visant à piloter les grandes décisions dans le domaine de la sécurité intérieure et de la défense.
Cette tendance à la centralisation met en évidence la forte mainmise de l’exécutif.
Par ailleurs, la participation depuis 2017 d’un contingent ivoirien à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) pourrait avoir des effets bénéfiques sur la professionnalisation des forces.
Politiques de l’ordre
Par rapport aux premières années post-conflit, l’amélioration de la sécurité des citoyens semble réelle, mais les gains sont relativement faibles. En Côte d’Ivoire comme dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, il faut souligner que « les effectifs policiers sont très inégalement répartis », avec une grande proportion de policiers et gendarmes à Abidjan.
La Côte d’Ivoire peut faire d’importants progrès sur la question de l’allocation des ressources et des zones de couverture.
La pluralisation de l’activité policière reste une donnée importante sous Alassane Ouattara, avec par exemple les cas de la sécurité privée et du vigilantisme urbain. Il est important de souligner le rôle de l’État et de la question des ex-combattants dans la progression du secteur de la sécurité privée dans la période post-conflit.
La Côte d’Ivoire peut faire d’importants progrès sur la question de l’allocation des ressources et des zones de couverture
Le secteur de la sécurité privée dite « informelle », en dehors des sociétés ayant des agréments, est un véritable angle mort de la régulation étatique, mais aussi un « laissez-faire stratégique » pour permettre des systèmes de patronage.
Les élections présidentielles de 2020 : un secteur de la sécurité sous forte pression
La décision en août 2020 d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat a provoqué un resserrement autoritaire au pays.
La pression sur les policiers et gendarmes a été maximale, mais en dépit de ces tensions, tous les spécialistes interrogés ont signalé une certaine retenue de la part des forces de l’ordre. Contrairement à des situations passées, les forces de l’ordre ont plutôt été spectatrices qu’actrices de ces violences.
Les relations police-population après les élections sont plutôt positives même dans les zones où il y a eu de fortes tensions.
La pression des groupes armés jihadistes au nord
Les difficultés des États sahéliens et des acteurs internationaux à enrayer les activités des groupes armés jihadistes expliquent que des nuages sombres s’amoncellent autour de certains pays côtiers ouest-africains ces dernières années.
Dans le contexte de la pression des groupes jihadistes au nord, gagner la confiance des communautés frontalières et montrer une attention particulière à leurs difficultés et besoins sont des enjeux décisifs dans la lutte contre l’extrémisme violent
Tout ceci s’inscrit dans une stratégie de harcèlement des forces de sécurité à la frontière. Les mesures prises par le gouvernement contre ces menaces montent en puissance depuis quelques années. Celles-ci se concentrent largement sur une réponse militarisée.
Au-delà de la réponse militaire stricte, l’État cherche à redynamiser les comités civilo-militaires dans les régions du nord pour mieux engager les populations.
Les défis face à ces menaces : relations forces-populations et coopération régionale
Dans ces zones frontalières, le renforcement du maillage des forces de sécurité et même une amélioration de leurs moyens ne peuvent se substituer à la collaboration des populations civiles dont le rôle est essentiel.
Il y a une forme de « défiance » des populations locales vis-à-vis des forces de sécurité.
Au-delà de la réponse coercitive, un expert avance que ces défis nécessitent une réponse socio-politique, en « améliorant la décentralisation, les politiques sociales, et en renforçant les infrastructures », dans des régions qui sont parmi les plus pauvres du pays.
Les coopérations régionale et internationale sont indispensables pour lutter efficacement contre ces menaces transfrontalières. Antonin Tisseron souligne la nécessité de soutenir l’impulsion politique de l’Initiative d’Accra regroupant sept pays ouest-africains (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Niger et Togo).
Il y a une forme de « défiance » des populations locales vis-à-vis des forces de sécurité
La coopération au sein de la CEDEAO sur ces questions commence aussi à se concrétiser mais une véritable réflexion sur les communautés transfrontalières, sortant d’une logique de coopération sécuritaire entre acteurs étatiques, n’est pas vraiment présente jusqu’ici, alors que celles-ci jouent un rôle clé dans la prévention et le soutien des forces de sécurité.
Conclusion
Derrière la réaffirmation de l’autorité de l’État dans la sortie de conflit ivoirienne, le secteur de la sécurité apparaît ici comme un révélateur d’un champ de pouvoir traversé par des négociations, dans le contexte de jeux d’alliance complexes et d’un pouvoir d’État lui-même pluriel. Cet ensemble de relations patron-client construit des relations d’interdépendances dans le secteur mais fait aussi ressortir ses fragilités, mises en évidence par les mutineries de 2017.
Dans le contexte de la pression des groupes jihadistes au nord, gagner la confiance des communautés frontalières et montrer une attention particulière à leurs difficultés et besoins sont des enjeux décisifs dans la lutte contre l’extrémisme violent.
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